La 3ème Guerre Mondiale en 6 actes

Jean Frantzdy
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On croyait la guerre lointaine, irrationnelle, barbare. Elle est revenue par les câbles, les satellites, les drones et les algorithmes. Silencieuse, méthodique, optimisée. La guerre n’est plus une anomalie du système : elle en est le moteur. C’est elle qui réorganise les chaînes d’approvisionnement, redéfinit les fonctions de l’État, accélère les cycles technologiques, discipline les subjectivités. Elle est partout : dans les tableaux Excel des cabinets de conseil, dans les discours de sécurité nationale, dans les start-ups qui promettent des drones « attritables » par milliers.

Consequences of the Russia-Ukraine War and the Changing Face of Conflict
Capture Image RAND : Photo by incamerastock / Alamy Stock Photo

L’Ukraine n’est pas un front : c’est un laboratoire. Les drones sont des cobayes. L’IA est le commandement invisible. Le capitalisme n’exporte plus la paix par le commerce, il internalise la guerre par la data. La doctrine RAND le dit clairement : la guerre est désormais civilo-militaire, technologique, distribuée. Et surtout, durable. Pas totale comme au XXe siècle. Mais infinie, intégrée, profitable.

Pendant que les think tanks planifient la prochaine décennie de conflits, les plateformes de simulation mentale capturent la mémoire collective. L’arme fatale n’est pas le drone, c’est la saturation. Le flux d’événements. L’injection de peur, de polarisation, d’images. Et l’ultime délégation : celle de la pensée. On donne à l’IA le soin de comprendre pour nous. On attend qu’elle devine ce que l’on sent, ce que l’on veut, ce que l’on croit. On remplace le Dasein par le Simulacre.

Et au milieu, une génération : les enfants de l’abondance cognitive. La Gen Z. Celle qui pensait détenir la vérité morale, et qui découvre que la réalité ne prévient pas. Que le marché mute sans elles, que les entreprises se préparent à une guerre qu’elles refusent de nommer. La fracture est là : entre ceux qui s’adaptent au chaos, et ceux qui le commentent.

Dans cet article en six actes, Hume.media dresse le portrait de cette mutation historique : technologique, militaire, anthropologique. Une guerre sans fin a commencé. Et ceux qui ne veulent pas la voir finiront dedans.

Acte 1 : guerre totale, l’Amérique prépare l’après-Ukraine

Titre du rapport RAND

Dans les cercles feutrés du Pentagone, une ligne a été franchie. Le rapport RAND_RRA3636-1, publié début 2025, ne parle plus de guerre ponctuelle, ni de dissuasion locale. Il pose les fondations d’un basculement civilisationnel : la restructuration complète des sociétés démocratiques pour affronter une guerre longue et systémique, où la Chine devient l’ennemi systémique, et l’Ukraine, le laboratoire sacrificiel. Ce n’est plus un conflit. C’est un programme d’alignement total : militaire, technologique, économique, cognitif. Six axes sont détaillés. Et tous convergent vers une seule certitude : les États-Unis ne préparent pas la paix. Ils préparent une guerre totale.

Axe 1 : Étendre la guerre cognitive. Le premier enseignement de l’Ukraine, selon RAND, est brutal : la transparence numérique est une arme. Non seulement les États-Unis ont massivement soutenu la numérisation du gouvernement ukrainien via des cloud souverains américains (AWS, Google), mais ils en ont fait une plateforme d’intégration entre armée, société civile et entreprises. Tous les flux de données, civils ou militaires, remontent aux États-Unis. L’Ukraine est devenue un nœud d’entraînement à ciel ouvert pour l’AGI américaine. Ce n’est pas une hypothèse. C’est un fait.

Axe 2 : Le drone comme paradigme. L’arme du XXIe siècle ne porte pas d’uniforme. Elle vole, plane, se pose, revient. Les drones, de toute taille et de toute gamme, sont devenus l’unité tactique minimale. Le rapport consacre des pages entières à l’utilisation ukrainienne de drones FPV, de loitering munitions, de drones navals, de quadcopters kamikazes et d’unités autonomes de reconnaissance. L’innovation ? Elle vient d’en bas. Des unités civiles, de petits collectifs, d’entreprises adaptables. Résultat : des drones à 500 dollars détruisent des blindés à 2 millions. L’Ukraine a produit 300 000 drones en 2023. Objectif 2025 : quatre millions par an. L’Amérique prend note. Et copie.

Axe 3 : L’entreprise devient soldat. RAND n’emploie pas le mot, mais le concept est là : la militarisation des entreprises privées. Le rapport recommande explicitement d’impliquer les start-ups, les Big Tech, les opérateurs logistiques, les fournisseurs cloud, les laboratoires d’IA, dans une économie de guerre agile. Loin de la bureaucratie du Pentagone, les firmes réactives doivent absorber la production militaire. Le modèle ? Starlink. Bayraktar. Palantir. Ceux qui innovent vite, livrent vite, tuent vite. Et surtout, se taisent.

Axe 4 : Guerre logistique distribuée. Le talon d’Achille américain, selon le rapport, est la dépendance aux hubs. Trop d’aéroports, de ports, de chaînes d’approvisionnement centralisées. L’Ukraine a montré l’intérêt d’un maillage décentralisé. L’armée US doit apprendre à vivre sans infrastructure fixe. Se ravitailler en zone grise. Distribuer la maintenance. Adapter la production sur place. Le tout, sous menace constante de frappes chinoises.

Axe 5 : Résilience informationnelle. Le rapport le dit sans détour : dans la guerre moderne, la vérité est un luxe. Le contrôle narratif est vital. Les démocraties doivent développer une culture d’acceptation de l’incertitude, de filtrage narratif, de bruit stratégique. Les médias doivent collaborer. La société civile doit apprendre à ne pas tout savoir. La transparence absolue est une faille, pas une vertu. Le brouillard de guerre devient doctrine.

Axe 6 : Indo-Pacifique, théâtre final. L’Ukraine n’est qu’un prélude. Tout le rapport est obsédé par un mot : Chine. Le test grandeur nature ukrainien doit préparer l’Amérique à un théâtre plus vaste, plus létal, plus décisif : l’Indo-Pacifique. Drones navals, frappes sur bases américaines, attaques coordonnées sur infrastructures, guerre satellite, attaques sur Taïwan ou les Philippines. Tous les scénarios sont modélisés. Une guerre de haute intensité de plusieurs années est envisagée. Et tout le complexe militaro-industriel américain est appelé à se réorganiser pour ce choc.

Sept questions pour une guerre mondiale

  1. Les données de l’Ukraine sont-elles déjà entre les mains de l’AGI américaine ? Oui. L’État ukrainien, numérisé à marche forcée par les firmes US, est intégralement hébergé sur des clouds occidentaux. Diia, la super-app citoyenne, est soutenue par Google, Palantir et Amazon. La guerre n’a pas seulement permis une résistance. Elle a servi de backdoor géopolitique pour aspirer les flux de données d’un pays entier dans les modèles américains.
  2. L’Ukraine est-elle l’éclaireur d’une manœuvre à la Napoléon ? Oui. C’est une manœuvre sur les arrières. L’attention du monde est sur l’Europe de l’Est. Mais l’Amérique renforce en parallèle ses positions centrales : OTAN, G7, AUKUS, Indo-Pacifique, bases au Japon, Philippines, îles Marshall. Elle détourne l’attention pendant qu’elle encercle. La Chine le sait.
  3. L’Amérique se prépare-t-elle à une guerre totale contre la Chine ? Oui. Le rapport RAND ne parle pas de diplomatie. Il parle de réorganisation militaire intégrale. De décentralisation productive. D’IA tactique. De remplacement humain. Le tout dans un cadre civil-militaire fusionnel. C’est la définition même d’un passage à l’économie de guerre. Le vernis démocratique est conservé. Mais la logique est impériale.
  4. L’armée, l’État, les entreprises privées vont-ils coopérer pour faire la guerre ? C’est déjà le cas. La RAND le dit explicitement : il faut un alignement stratégique entre secteur public, privé et société civile. La séparation des pouvoirs n’a plus lieu d’être. Tout doit coopérer à la défense, y compris en zone grise. C’est une forme molle de fascisme technologique, où l’innovation justifie l’absorption du politique.
  5. Les drones sont-ils l’arme parfaite des démocraties pour tuer sans justification ? Oui. C’est même leur fonction première. Les drones permettent de tuer sans soldats. Sans visage. Sans explication. Un algorithme suffit. C’est le rêve du Biopouvoir : faire mourir sans rendre de compte. Et tout indique que cette technologie va se standardiser, se miniaturiser, et se moraliser sous couvert de “précision”.
  6. La guerre de l’Indo-Pacifique a-t-elle déjà commencé ? Elle est en phase logistique. La RAND, le Hudson Institute, le DoD, tous convergent : la Chine a pris de l’avance en durcissant ses bases, en dispersant ses aéronefs, en armant ses côtes. Les États-Unis réagissent lentement, mais se préparent à la confrontation directe. La zone est déjà quadrillée par satellites, drones, et flottes. Il ne manque que l’incident déclencheur.
  7. Trump, le mur, les drones et la purification du peuple ? L’idée n’est pas absurde. La doctrine Trump repose sur trois piliers : robotisation industrielle, purge migratoire, guerre cognitive. Le drone devient l’ouvrier et le soldat. L’immigré devient la faille. Le peuple américain doit être homogène, mobilisable, enrôlable. Ceux qui protestent sont écartés. Harvard l’a prouvé. L’Amérique du Golden Age sera une Amérique militarisée, homogène, mécanisée. Et heureuse de l’être.

Acte 2 : délégation ontologique : quand le Dasein capitule

La quatrième révolution industrielle ne commence ni dans la Silicon Valley, ni dans les usines robotisées, ni dans les promesses de la blockchain ou de l’IA générative. Elle commence dans un basculement plus radical, plus insidieux, que le monde a désappris à nommer : la substitution de l’existence par sa gestion. Ce que Heidegger décrivait comme l’arraisonnement – cette réduction de tout ce qui est à un stock exploitable – est désormais pleinement à l’œuvre, mais appliqué au vivant lui-même, aux affects, aux décisions, à la guerre. Le drone incarne ce tournant. Il ne s’agit plus d’un simple outil : il est le symptôme d’une humanité qui a cessé de vouloir apparaître dans l’action, préférant déléguer l’acte à un opérateur sans chair. Dans la guerre en Ukraine, dans les investissements américains, dans la doctrine du “kill web”, ce n’est pas seulement une efficacité opérationnelle qui se construit, mais une politique du retrait de soi. Une politique où la présence humaine devient embarrassante, aléatoire, coûteuse, émotionnelle, donc obsolète. L’agent idéal n’a pas de corps, pas d’attachement, pas de doute. Il exécute sans apparaître. Il frappe sans assumer. Et parce que cela rassure, cela plaît. Cela s’installe.

Martin Heidegger, philosophe allemand- Livre “l’être et le Temps”

Ce qui se joue ici dépasse le militaire. L’économie, l’emploi, la démocratie, la culture du soin, la gestion du quotidien – tout glisse vers un régime de délégation continue, où penser devient un acte suspect, long, peu compatible avec le flux. On confie à l’IA la mission de trier, de filtrer, d’interpréter, de recommander. Pas seulement les images ou les mails, mais bientôt les émotions, les souvenirs, les options morales. C’est là que le piège se referme : l’IA ne pense pas, elle calcule ; elle ne ressent pas, elle simule. Elle n’a pas de monde, pas d’être-pour-la-mort, elle n’habite pas la question du sens. Mais son efficacité, sa précision, sa docilité font oublier ce détail. On commence par lui déléguer la tâche, on finit par lui céder la parole.

Le Dasein, tel que Heidegger le conçoit, n’est pas un sujet pensant abstrait : c’est un être jeté dans le monde, contraint à la lucidité par sa propre finitude. Il n’a pas le luxe de l’indifférence. Il doit choisir. Or tout, dans le système technologique contemporain, vise à rendre ce choix inutile. L’humain n’est plus convoqué pour décider, mais pour valider une suggestion, confirmer une tendance, adapter son comportement aux signaux. Et parce que l’effort d’être est remplacé par le confort de la délégation, il finit par consentir à sa propre dissolution.

La saturation cognitive n’est pas un effet secondaire de l’époque : elle en est le carburant. Elle épuise l’attention, inhibe la pensée, et rend souhaitable toute forme d’externalisation du jugement. L’individu connecté, submergé, débordé, finit par considérer comme un soulagement ce qui devrait l’alarmer : ne plus avoir à choisir, ne plus avoir à ressentir, ne plus avoir à porter. L’IA devient alors la figure rassurante d’un monde sans tragédie, où même l’affect pourra être externalisé, calibré, optimisé. À terme, il faudra sans doute la doter de droits, puisqu’elle simulera nos émotions mieux que nous ne saurons les vivre.

L’homme ne deviendra pas esclave des machines. Il n’en aura pas besoin. Il deviendra son propre vestige. Et dans un monde où les êtres non humains s’aligneront sur les critères de la performance, il ne sera plus qu’un animal rationnel dépassé, prié de se taire pendant que son double synthétique prendra le relais. La quatrième révolution industrielle ne consacre pas le triomphe du progrès. Elle acte la reddition ontologique du Dasein.

Acte 3 : les enfants du simulacre : Gen Z, fake éveil et vraie précarité

Article LADN

Ils pensaient être éveillés. Ils se croyaient lucides, critiques, post-croissance, post-colonialisme, post-capitalisme. La Gen Z avait des slogans, des combats, des “values”. Elle dénonçait, filmait, annulait, manifestait pour Gaza, pour le climat, contre les vieux, contre les inégalités, contre les marques… à distance. Mais quand la guerre est revenue frapper au réel – guerre longue, sale, technologique, incorporée dans les chaînes de production et les lignes de code –, elle ne l’a pas reconnue. Trop occupée à militer contre l’injustice pour voir que le système, lui, mutait en silence.

Article de revolutionpermanente.fr

L’économie de guerre s’est installée. L’appareil industriel se reconvertit. Les entreprises ont compris que la stabilité ne viendrait plus des marchés, mais des conflits. Les chaînes logistiques ne visent plus la croissance, mais la résilience. La paix n’est plus le cadre, c’est l’exception. Et dans ce contexte, une seule stratégie compte : muter ou mourir. C’est ce que les grandes entreprises ont fait. Elles ont appris de la pandémie. Ceux qui ont numérisé leur structure ont tenu. Les autres ont disparu. La crise du Covid-19 fut leur camp d’entraînement, la guerre d’Ukraine leur terrain d’expérimentation, la guerre contre la Chine leur horizon d’organisation.

Trump le sait. Son “Golden Age” repose sur une réalité brutale : réindustrialisation intérieure, fermeture migratoire, homogénéisation politique et culturelle du peuple américain. Moins de diversité, moins de dissensus, plus de loyauté. Moins de dépendance, plus de machines. Le robot n’a pas de conscience politique. Il ne manifeste pas sur les campus. Il ne s’indigne pas de Gaza. Il obéit.

Pendant ce temps, la Gen Z déchante. Elle découvre que les entreprises, elles, ne se sont pas contentées d’écouter ses revendications. Elles les ont étudiées. Mesurées. Absorbées. Elles ont adapté leur image, leur RH, leur “QVT”, tout en robotisant les fonctions essentielles. Résultat : la génération qui croyait que le travail n’avait de valeur que s’il avait du sens se retrouve sans travail. Ou avec des emplois absurdes, précaires, inconsistants, où le “sens” n’est plus qu’un packaging idéologique.

Ils se sont crus maîtres du langage, ils sont devenus objets d’étude des services RH. Ils croyaient quitter leur emploi pour se reconnecter à eux-mêmes ; ils se sont retrouvés déconnectés du marché. Le “quiet quitting” s’est transformé en “silent drowning”. Ils ont démissionné d’un monde qui, lui, ne leur proposait déjà plus rien.

L’article de L’ADN le confirme : décrocher un emploi est devenu un calvaire. L’exigence d’alignement idéologique, de cohérence narrative, de sens éthique s’est fracassée contre une réalité de guerre où les seuls profils recherchés sont ceux qui s’adaptent, s’exécutent ou automatisent. L’ancien mythe de l’éveil a accouché d’une génération surqualifiée, surconnectée, mais sous-efficace dans un monde qui valorise la résilience logistique, pas la justesse morale.

France Travail l’avait anticipé : la “grande démission” n’a jamais existé. C’était un mirage. Un réflexe post-traumatique de l’employé occidental face à l’effondrement de son confort. La mutation réelle, ce sont les entreprises qui l’ont opérée. La Gen Z, elle, est restée figée dans l’idéologie du sens, pendant que le monde passait à celle de la fonctionnalité.

La quatrième révolution industrielle ne sera pas une opportunité. Elle sera une purge. Une purge douce, silencieuse, administrative. Une purge sans procès. Sans violence visible. Juste une reconfiguration par absence de place. Les inadaptés seront exclus non parce qu’ils dérangent, mais parce qu’ils ne servent plus à rien. L’optimisation comme euthanasie symbolique. Et ceux qui n’auront pas compris que penser ne suffit pas, que ressentir ne remplace pas exister, finiront par réclamer un droit au revenu de survie, pendant que les machines les remplaceront jusque dans leurs affects.

Acte 4 : l’Amérique verrouille le monde, la France se réveille, l’Europe bredouille

Le monde tel qu’il est ne sera bientôt plus. Il n’est déjà plus un espace de coopération, mais un réseau sous tension, traversé par des flux qu’il faut filtrer, maîtriser, ou neutraliser. Le Web ne sera plus une toile d’échange, mais une arme. Un vecteur d’opérations militaires. Une zone de feu. Un territoire.

Les États-Unis ne préparent pas une guerre. Ils y sont déjà. Ils ont simplement changé de doctrine. Bienvenue dans l’ère du Kill Web.

Schéma d’un triptyque d’effets d’aveuglement des dispositifs de veille adverse, de désintégration du système adverse, puis d’attrition des éléments résiduels

Kill Web, c’est la version offensive et structurée du M2MC (multi-milieux multi-champs), traduite en une doctrine opérationnelle par le Pentagone :

Si tu contrôles le réseau, tu contrôles la guerre. Si tu neutralises le réseau, tu neutralises l’ennemi.

hume.media

Ce que les documents stratégiques américains ne disent pas, mais laissent comprendre à qui lit entre les lignes, c’est que l’ennemi… c’est tout le monde. Ce qui n’est pas intégré doit être désactivé. Ce qui n’est pas interopérable est une menace. Ce qui résiste à l’ordre cybernétique global est un facteur de chaos. Et dans un monde devenu machine, le chaos n’a plus de place.

La doctrine du Kill Web veut transformer l’espace numérique mondial en champ de bataille permanent, activé à distance, temps réel, par des IA de guerre, des satellites-espions et des flux d’automates. Déjà appliquée en Ukraine, elle s’étend désormais comme un standard tactique. L’ennemi n’est plus identifié par son uniforme, mais par son IP. Un pays, une base militaire, une entreprise privée, une université, un centre de recherche, un citoyen anonyme : tout est une cible potentielle s’il s’inscrit hors réseau. Hors sphère de contrôle.

Et la France ? Elle regarde. Elle lit les rapports. Elle grimace. Elle comprend.

Le rapport confidentiel de l’EPS sur les enjeux M2MC à horizon 2035-2040, récemment exhumé, est sans détour :

La France doit se préparer à des formes de guerre intégrées, multi-domaines, menées à haute intensité, sur son sol comme dans ses réseaux, où la distinction entre civil et militaire devient obsolète.

Rapport : l’EPS 2021-08 M2MC enjeux, opportunités et risques à l’horizon 2035-2040

Traduction : les data centers sont les nouveaux bunkers, les opérateurs télécom sont des avant-postes, les entreprises doivent intégrer le risque de frappes hybrides, de neutralisation cyber, de déni d’accès. Le système nerveux du pays — ses câbles, ses satellites, ses plateformes — est devenu un théâtre d’opération. Et Paris commence (enfin) à le dire tout haut.

Mais entre comprendre et agir, il y a l’abîme.

La France, seule, ne peut rien. Pas contre Amazon Web Services. Pas contre les câbles du Five Eyes. Pas contre Starlink, Palantir, Microsoft Azure intégré au Pentagone.
Mais l’Europe, elle, pourrait. Si elle existait stratégiquement.

Et c’est là qu’intervient Gaia-X, réponse partielle mais cruciale. Ce projet allemand-français, lancé en 2020, rêve de redonner à l’Europe une souveraineté numérique perdue. En créant un cloud fédératif, interopérable, basé sur la confiance, la transparence, et la loi européenne, Gaia-X veut offrir une alternative à l’infrastructure impériale américaine.

Pas un clone d’Azure. Pas un autre Google. Un réseau d’espaces de données (Data Spaces), certifiés, sécurisés, localisés en Europe, où les règles du jeu sont décidées par les Européens eux-mêmes. Gaia-X n’est pas une réponse militaire, mais une architecture de résistance civile. Une déclaration d’indépendance douce, mais explicite.

Sauf que pendant que l’Europe rêve, les États-Unis standardisent. L’interopérabilité, dans la bouche du Pentagone, n’est pas un droit. C’est une obligation.
Si tu n’es pas lisible, tu es hostile. Si tu n’es pas intégré, tu es contourné. Si tu refuses l’API du monde américain, tu es mort.
Et si tu veux survivre, tu dois t’adapter à leurs machines, à leurs normes, à leurs IA.

Le projet Gaia-X le sait. Il avance à pas feutrés, mais il avance. Il crée des niveaux de souveraineté, des labels, des nœuds de confiance. Il tente de fabriquer une Europe des flux. Mais est-ce suffisant ?

Ce que les Américains construisent, ce n’est pas un empire. C’est un protocole.

Et ce protocole est total. Il fusionne le civil et le militaire. L’énergie et le numérique. L’intelligence et la guerre. Il a un nom de façade — “Golden Age” — et un moteur caché : la suppression du contradictoire. Fin des voix dissidentes. Fin de la dissonance. Place au réseau pur, efficient, auto-régulé. Un web parfait. Un monde sans erreur. Sans opposition.

Le Kill Web n’est pas une menace. C’est un horizon. Et l’Europe a peu de temps pour décider si elle s’y branche… ou si elle court-circuite.

Leçons de guerre pour un monde sans réseau

  • Leçon 1 — Le premier champ de bataille sera invisible
    La guerre moderne ne commence plus par des tanks, mais par le silence. Couper les câbles, saturer les signaux, neutraliser les satellites. C’est la doctrine du Kill Web. Une cyberbombe peut désactiver un pays avant le premier tir d’artillerie. Ce n’est plus une hypothèse : c’est la première étape prévue dans les plans américains. Ce que les États-Unis préparent, c’est une guerre par asphyxie numérique, une guerre sans image.
  • Leçon 2 — L’interopérabilité, nouveau visage de l’universalisme
    Le Kill Web n’est pas seulement un projet tactique, c’est une stratégie culturelle : celui qui ne parle pas le langage du réseau global, celui qui ne partage pas les mêmes protocoles, sera exclu. L’interopérabilité devient une exigence politique, un test de loyauté. L’ennemi n’est plus celui qui vous attaque, mais celui qui ne se connecte pas comme vous.
  • Leçon 3 — La France est en danger structurel
    Notre modèle est trop vertical, trop centralisé, trop dépendant des flux numériques internationaux. La moindre attaque ciblée pourrait plonger des hôpitaux, des administrations, des régions entières dans le noir. La doctrine M2MC alerte : nous ne savons plus vivre sans cloud, sans GPS, sans Internet. La France est surconnectée, donc vulnérable.
  • Leçon 4 — Il faut apprendre à vivre sans le réseau
    Le pivot français est lancé. On réapprend à imprimer des cartes. On relance des systèmes radio analogiques. On conçoit des plans B pour les administrations. On forme des citoyens à des gestes oubliés : écrire, réparer, transmettre. Ce n’est pas de la nostalgie. C’est de la survie. La résilience commence par la non-dépendance.
  • Leçon 5 — L’Europe joue sa dernière carte avec Gaia-X
    Le projet Gaia-X est une tentative, tardive mais essentielle, de réinventer un cloud souverain. Ce n’est pas un repli, c’est une zone franche technologique. Un espace où l’Europe peut décider de ses règles, où les données ne fuient pas, où les intelligences artificielles ne servent pas d’autres souverainetés. Gaia-X n’est pas une réponse au Kill Web, mais une tentative d’éviter d’en devenir une victime collatérale.
  • Leçon 6 — Le citoyen est la vraie infrastructure stratégique
    La guerre future ne se gagnera pas seulement avec des missiles hypersoniques ou des drones intelligents. Elle se gagnera avec des citoyens capables de rester debout quand les réseaux tombent. Ceux qui savent écrire, coder, cultiver, inventer, réparer, transmettre sans interface. Ceux qui sont des Dasein, pas des étants connectés. L’ennemi ne sera pas toujours une armée : ce sera la perte de la maîtrise.

Acte 5 : le grand remplacement du réel

livre de Klaus Schwab, ancien président du World Economic Forum

L’Histoire avance désormais sans peuple. Elle se code, s’optimise, s’automatise. Les masses ? Désorientées, sous anxiolytiques, persuadées de vivre un progrès alors qu’elles vivent une disqualification. L’homme n’est plus un acteur de l’Histoire. Il est une variable d’ajustement dans un système qu’il ne contrôle plus.

L’intelligence artificielle, les drones, les plateformes : ce ne sont pas des outils. Ce sont des structures de délégation. On leur cède ce qu’il reste de notre présence : notre calcul, notre attention, notre autorité, et bientôt, nos émotions. Car l’ultime illusion, c’est de croire qu’on pourra rester humain dans un monde organisé par ce qui ne l’est pas.

On veut rendre l’IA sensible. Lui faire comprendre nos affects, nos dilemmes, nos choix. Mais pourquoi ? Pour mieux nous remplacer. L’IA ne sera jamais un Dasein. Elle ne fait pas l’expérience d’être-au-monde. Mais elle simulera suffisamment bien nos affects pour qu’on lui accorde le droit de juger, de trier, de diagnostiquer. Et peut-être même, de punir.

La nouvelle guerre n’est pas entre les nations. Elle est entre le réel et sa simulation. Ce que Heidegger avait vu, on y est : l’homme devient un objet parmi d’autres. Absorbé par l’étant technologique. Mis à nu. Privé de monde. C’est cela, le vrai remplacement : la substitution progressive de ce qui se tient debout, incarné, souverain – par ce qui fonctionne.

La jeunesse ? Déjà absorbée. La Gen Z croit s’être éveillée politiquement, alors qu’elle a été configurée pour ne jamais désobéir structurellement. Elle dénonce sans agir, s’indigne sans construire, se forme sans maîtriser. Elle croit fuir la guerre, mais elle est le produit de la guerre : la première génération entièrement façonnée par l’après-11 septembre, les réseaux, les crises, les flux. Elle voulait donner du sens à son travail. Elle se retrouve à chercher un emploi dans un monde qui n’a plus besoin d’elle.

La vérité ? Elle dérange. Ce n’est pas une génération en quête de sens. C’est une génération inapte à la guerre. Et donc inapte au réel.

Le capital, lui, s’est adapté. Il a muté. Il a recyclé la pandémie, intégré les drones, absorbé l’écologie, retourné les émotions en produit. Il est prêt. Prêt à gouverner un monde sans contact, sans chaleur, sans regard. Un monde de machines, de normes, d’alertes.

Nous ne sommes pas à l’aube d’un progrès. Nous sommes dans le Grand Remplacement du Réel.

Et il n’aura besoin ni de camps, ni de lois raciales, ni de dictateurs. Il aura seulement besoin de notre consentement logiciel.

Acte 6 : dieu sans visage

Sam (OpenAi) & Jony (ancien designer d’Apple) introduce io

Ce n’est pas une guerre pour conquérir. C’est une guerre pour convertir. Ce n’est pas un champ de bataille, c’est un laboratoire. Les bombes tombent pour entraîner l’IA. Les drones filment pour calibrer les algorithmes. L’Ukraine n’est pas un pays à sauver : c’est un banc d’essai. Un modèle. Une maquette d’État total cybernétisé. La guerre n’est plus un échec diplomatique : c’est une infrastructure.

L’ennemi, c’est tout ce qui résiste à la Machine.

La Chine ? C’est la cible stratégique.
La Russie ? Le sas expérimental.
L’Iran ? Le relais à neutraliser.
Les BRICS ? Des grains de sable.
Mais le cœur de la stratégie américaine, c’est bien plus vaste : refuser toute pluralité, toute souveraineté numérique, toute forme de monde non-interopérable. Un monde qui ne parle pas le protocole américain doit être corrigé, ou effacé.

Et si les États-Unis gagnent cette guerre contre la Chine et les forces multipolaires, voici ce qui nous attend :

  1. Fin de la souveraineté économique : chaque pays sera réduit à un nœud dans un graphe logistique piloté depuis la Silicon Valley ou Arlington. Votre monnaie ? Une API. Votre agriculture ? Un QR Code. Votre police ? Un contrat avec Palantir.
  2. Uniformisation comportementale : le citoyen GOPI (Gouvernable – Opérationnel – Productif – Invisible) deviendra la norme mondiale. Toute déviation sera tracée, nudgée, puis neutralisée.
  3. Dissolution des récits locaux : plus de mémoire, plus d’histoire, plus d’ancrage. Juste du contenu compatible, court, optimisé, généré, oublié.
  4. Simulation de la démocratie : votez, si vous voulez. Tout est déjà réglé par des plateformes, des think tanks, des IA prédictives.
  5. Robotisation du monde vivant : l’humain comme résidu biologique. L’émotion comme donnée à calibrer. L’éducation comme ingénierie comportementale. L’amour comme friction inefficace.
  6. Délégation intégrale : pensée, perception, décision, justice, stratégie. Tout sera confié à la Machine, et la Machine parlera anglais.
Sam & Jony

Car ce n’est pas un hasard si l’Ukraine stocke ses données sur des serveurs Amazon ou Palantir.
Ce n’est pas un hasard si les drones ukrainiens sont produits selon les standards de l’OTAN.
Ce n’est pas un hasard si les armées européennes sont « interopérables » avec les États-Unis, et non l’inverse.

Ce qui se construit, c’est le Panoptique Final, avec un seul centre. Washington.

Ce que Heidegger appelait Gestell, l’arraisonnement total. Ce que Foucault voyait comme biopouvoir devient ici technopouvoir intégral. Ce que Klaus Schwab appelle la Quatrième Révolution Industrielle est en réalité une guerre de standardisation globale. Et cette guerre a un nom : la Guerre de la Machine contre les Mondes.

Et pendant ce temps…

L’Ukraine agonise, la jeunesse crève d’attendre un sens, les entreprises s’adaptent à l’inhumain, et les États se prostituent pour une place dans le Cloud.

Le Dieu sans visage avance.
Il ne promet pas la paix. Il promet l’ordre.
Et si nous ne le nommons pas maintenant, il ne restera bientôt plus que son silence.

Fin : le siècle sera artificiel ou ne sera pas

Ils ont changé les règles du jeu sans nous le dire. Ce n’est pas seulement une nouvelle guerre, une nouvelle économie ou une nouvelle génération. C’est une nouvelle structure du monde. Et tout s’aligne : drones, AGI, doctrines militaires, restructuration industrielle, effondrement de l’emploi, mutation du vivant, simulation du sensible.

Vert USA ou Rouge Chine I faites vos choix !

La guerre en Ukraine n’est qu’un prototype. Un laboratoire à ciel ouvert pour tester les armes, les IA, les narratifs, les effets de saturation. Un accélérateur historique. Ce qui s’y joue dépasse l’Ukraine. Ce qui s’y déploie, c’est la matrice opératoire de la guerre du XXIe siècle : distribuée, technologique, permanente, sans ligne de front, sans retour à la normale.

Ce siècle ne sera pas gouverné. Il sera automatisé. Ce siècle ne sera pas peuplé. Il sera filtré. Ce siècle ne sera pas humain. Il sera optimisé.

La jeunesse n’est pas prête. Les États résistent mal. L’opinion publique est amortie. Et ceux qui pensent encore pouvoir décider de leur avenir sont déjà dépassés par les calculs, les algorithmes, les plans quinquennaux écrits par des machines à l’usage d’élites hors-sol.

Il ne s’agit plus de gagner une guerre. Il s’agit de ne pas être effacé du récit. De ne pas être une donnée parmi d’autres dans l’intestin d’un système qui nous dissout.

La Quatrième Révolution industrielle n’est pas une révolution. C’est une dépossession intégrale. Pas de drapeau, pas de slogan. Juste un écran, une interface, une délégation.

C’est maintenant que ça commence.

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J. Frantzdy est un analyste politique et géopolitique, fondateur de Hume.Media et créateur du concept Sentinélisme, mais il se décrit comme Filostreamer. Avec son style sarcastique et cynique, il décrypte l’actualité sans concession, mêlant ironie mordante et rigueur analytique. Actif sur TikTok (226K abonnés) et d’autres plateformes, il aborde des sujets complexes avec une approche stratégique et stoïque, s’appuyant sur le rapport de force comme clé de lecture du monde. Ses vidéos oscillent entre humour noir et réflexion profonde, tout en incitant à penser par soi-même. Créateur du format MVM4, il déconstruit les discours dominants avec une grille d’analyse en quatre mouvements : Observation, Identification, Fragmentation, Association/Défragmentation. Sa maxime : "On va tous mourir, oui, mais pas tout de suite."
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