L’idée de démocratisation évoque un progrès : rendre accessible ce qui ne l’était pas, offrir à tous ce qui appartenait à une élite. Pourtant, dans le sport, le luxe ou même la géopolitique mondiale, cette ouverture cache un paradoxe. En cherchant à tout universaliser, on ne fait que déplacer les frontières de l’exclusivité et créer de nouvelles lignes de fracture. Ce qui devait rassembler finit par diviser, ce qui devait inclure finit par exclure.
Le football, un sport populaire devenu une industrie mondialisée
Le football, autrefois simple et fédérateur, est devenu une machine économique où seuls les meilleurs des quartiers populaires peuvent espérer percer. À mesure que l’argent a pris le contrôle du jeu, la discipline a perdu de son âme. Loin du sport de village, où l’on jouait pour l’honneur du maillot, il est aujourd’hui un business mondialisé où la fidélité se négocie à coups de millions.
Dans ce processus, un phénomène sociologique s’est installé : la surreprésentation des joueurs noirs et arabes dans les sélections nationales françaises, majoritairement issus de quartiers populaires. Paradoxalement, alors que le football était censé être un sport d’intégration, il devient un espace où les minorités racisées dominent numériquement, tandis que les classes moyennes blanches s’en détournent peu à peu. Ces dernières trouvent refuge dans le rugby, un sport jugé plus enraciné dans la culture française, où les valeurs de respect, de discrétion et de collectif sont mises en avant.
Le football, sous couvert de démocratisation, a donc accentué un phénomène de ghettoïsation sportive. Les jeunes issus des quartiers n’y voient plus un simple jeu, mais un moyen d’ascension sociale, une échappatoire à la précarité. De l’autre côté, ceux qui n’adhèrent pas à cette nouvelle réalité se retirent du football et se tournent vers d’autres disciplines. La rupture est consommée.
Le rugby, un refuge pour une france en quête d’identité
À mesure que le football devenait un spectacle bling-bling, où les joueurs, casques vissés aux oreilles et habillés en haute couture, s’affichent sur les réseaux sociaux, le rugby s’est affirmé comme un bastion d’authenticité. Moins visible, moins ostentatoire, il incarne des valeurs que certains considèrent comme celles d’une France traditionnelle : discipline, humilité, engagement collectif.
Ce phénomène s’est accentué avec des polémiques comme celle du ramadan dans le football, où certains joueurs demandent à s’arrêter de jouer pour jeûner. Dans le rugby, ce type de débat n’existe pas : la culture du sacrifice est ancrée, et le collectif passe avant l’individuel. En rejetant cette forme de mondialisation du football, une partie des supporters et des jeunes athlètes se tournent vers le rugby, où l’on se sent encore en phase avec une identité plus enracinée.
L’industrie du luxe, entre ouverture et perte d’exclusivité
Ce processus d’érosion de l’appartenance ne se limite pas au sport. Il touche également le luxe, un secteur qui, en voulant séduire la masse, a fini par perdre son prestige. Pendant des décennies, le luxe était réservé à une élite restreinte, garantissant son aura et sa rareté. Mais sous l’impulsion de figures comme Bernard Arnault, l’industrie a misé sur la démocratisation : proposer des sacs à main plus accessibles, des sneakers griffées, des campagnes marketing qui ciblent une classe moyenne avide de signes extérieurs de richesse.
Le succès de cette stratégie a été fulgurant. Louis Vuitton, Dior, Balmain ont explosé en popularité, adoptés par des influenceurs et des consommateurs qui, hier encore, ne pouvaient que rêver de ces marques. Mais aujourd’hui, l’effet pervers se manifeste : en voulant toucher tout le monde, le luxe s’est banalisé.
Le cas Hermès illustre parfaitement cette opposition. Refusant de céder à la tentation du volume, la maison s’adresse uniquement aux ultra-riches et préserve ainsi son prestige. Là où Louis Vuitton devient le “Lidl du luxe”, Hermès s’élève vers l’Olympe, refusant l’accessibilité pour garantir son intouchabilité. Le résultat est sans appel : alors que Louis Vuitton souffre d’une baisse d’attractivité et d’une perte de désirabilité, Hermès continue d’afficher une croissance insolente.
Le parallèle avec le sport est évident. À l’image du rugby qui maintient son identité en restant à l’écart du star-system, Hermès prospère en refusant la démocratisation. En revanche, Louis Vuitton, à force d’ouvrir ses portes, perd son exclusivité, comme le football qui, en devenant un business mondialisé, perd son attachement populaire.
De la sélection sportive à la sélection mondiale
Cette logique ne concerne pas seulement les clubs ou les marques de luxe, elle s’étend à l’échelle des États. L’ère Trump II, analysée dans Trump II et l’empire du biopower met en place un tri radical entre ceux qui méritent d’être intégrés dans l’ordre technocapitaliste et ceux qui seront laissés en marge.
Les États-Unis et leurs alliés directs – le Japon, Israël, le Royaume-Uni – deviennent les “Gopis” du monde, ceux qui bénéficient du Biopower et des avancées technologiques. À l’inverse, des pays comme l’Afrique, l’Amérique latine ou certaines nations européennes en difficulté sont considérés comme des “Nogis”, c’est-à-dire des territoires obsolètes, laissés en dehors des dynamiques de croissance et de modernité.
Cette logique de sélection rappelle celle du football : certains joueurs émergent dans un système ultra-compétitif, pendant que d’autres restent bloqués à la périphérie. Elle est aussi visible dans le luxe, où seules les marques capables de maintenir leur exclusivité survivent. La mondialisation, au lieu de tout uniformiser, crée de nouvelles fractures, entre ceux qui peuvent suivre et ceux qui sont relégués à l’obsolescence.
L’uberisation du monde, entre ouverture et rejet
Le modèle qui s’impose est celui d’une uberisation généralisée. Le football n’est plus un sport d’appartenance, mais une industrie mondialisée où les joueurs peuvent changer de sélection comme on change de sponsor. Le luxe n’est plus un rêve inaccessible, mais un simple produit premium, sans la rareté qui faisait son prestige. Et dans le monde, les États sont triés selon leur rentabilité, avec les puissances dominantes décidant qui a encore une place dans le futur et qui sera marginalisé.
Démocratiser, c’est exclure.
JFR
Démocratiser, c’est exclure. Ce qui semblait être une ouverture à tous est en réalité une compétition acharnée où seuls quelques-uns s’en sortent. Le football s’est coupé de sa base populaire en devenant une industrie. Le luxe, en s’ouvrant, s’est vidé de son essence. Et la géopolitique, sous couvert de mondialisation, ne fait que restructurer l’exclusion.
Le progrès, dans ce monde ultra-connecté, ressemble de plus en plus à une sélection.