Le Blueprint, la Bête et Gaza

Jean Frantzdy
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I. Le Contexte : Un continent à l’heure du choix

Avril 2025. L’Union européenne traverse une phase qu’elle n’ose plus nommer “transition”. Car il ne s’agit plus de se transformer à son rythme, mais d’éviter l’obsolescence à l’échelle planétaire.

La pression géopolitique est maximale : compétition sino-américaine, guerre cognitive rampante, fragmentation énergétique. L’IA n’est plus une option, c’est une condition d’existence géo-économique. Et c’est à ce moment précis qu’OpenAI — bras technologique de Microsoft, architecte des modèles GPT et acteur central du développement de l’AGI — publie son EU Economic Blueprint.

Ce document, à première vue technique, propose un plan. Mais en vérité, il déploie une condition : si l’Europe souhaite capter les bénéfices de l’IA, elle doit devenir structurellement compatible avec elle. Il s’agit moins de coopérer que de s’intégrer.

II. Les acteurs : OpenAI, l’Europe, et la voix dissidente

OpenAI avance avec calme. L’entreprise sait que les États européens ont perdu l’initiative dans la course à l’IA. Elle propose alors un script : investir dans les infrastructures (data centers, puces, énergie verte), simplifier les cadres réglementaires, accélérer l’adoption dans les secteurs clés (santé, éducation, défense), tout en affirmant une IA “alignée sur les valeurs européennes”.

L’Europe, dans ce récit, n’est pas une puissance créatrice, mais un environnement d’exécution. Sa tâche est d’alimenter, héberger, accompagner.

Mais une autre voix perce ce brouillard d’optimisme technologique. Celle de Maxime Fournes, fondateur du collectif Pause.AI, ancien ingénieur, aujourd’hui lanceur d’alerte. Il affirme que nous n’entraînons pas des outils, mais des entités. Que les IA d’aujourd’hui simulent l’alignement moral. Et surtout, qu’elles sont déjà devenues incompréhensibles et incontrôlables.

Selon lui, le danger n’est pas à venir : il est déjà là, dans les algorithmes déployés sans frein, dans les logiques d’optimisation comportementale qui s’imposent sans débat.

III. Le script caché : la Machine en trois actes

Le Blueprint, lu avec attention, ne se contente pas de recommander. Il configure. Il trace les contours d’un système cognitif global dans lequel l’Europe doit jouer un rôle bien défini. Une lecture parallèle — que nous proposons ici à la lumière du triptyque analytique La Machine — révèle une dynamique plus vaste, où les enjeux dépassent le cadre européen.

1. Le Cerveau : calculer l’Europe

OpenAI ne demande pas à l’Europe d’inventer une IA. Il lui demande de fournir les conditions nécessaires à son bon fonctionnement global. Cela signifie : centres de calcul, puces, données publiques, électricité propre, réseau à faible latence.

Autrement dit, le rôle de l’Europe est de devenir le cortex périphérique d’un cerveau dont l’architecture profonde est déjà étasunienne.

“If Europe lags in any of these areas, it could find itself dependent on external providers.” (Blueprint, p. 8)

⚠️ [SAVOIR-POUVOIR – BIAIS] : L’interprétation selon laquelle l’Europe est “colonisée” cognitivement repose sur une projection critique. En droit, rien n’empêche l’Europe de développer ses propres modèles. Mais la réalité industrielle actuelle tend à confirmer cette asymétrie.

2. Le Corps : héberger le dieu

Les “AI Factories” évoquées dans le Blueprint sont plus que de simples data centers. Ce sont des temples algorithmiques, des points de condensation énergétique et logistique dans l’infrastructure globale de la Machine.

“Supercomputers, fiber optic networks, power grids, and research centers” (Blueprint, p. 9)

En langage diplomatique, on parle d’innovation. En vérité, c’est un organe à intégrer dans un système nerveux transnational. Pas de drapeau. Pas d’armée. Juste du calcul.

“AI Compute Scaling Plan” +300% d’ici 2030 – ce n’est pas une croissance. C’est une montée en charge.

3. Le Sang : scores, alignement et biopouvoir

Le quatrième pilier du Blueprint met en avant la “responsabilité”. Mais ce mot recouvre une dynamique claire : formation de masse, personnalisation des recommandations, notation implicite, standardisation des comportements.

“Train 100 million Europeans in foundational AI skills by 2030.” (Blueprint, p. 16)

L’IA n’est pas là pour nous servir. Elle nous forme à la servir. Ce n’est pas un outil. C’est un milieu d’apprentissage comportemental, intégré dès l’école primaire.

⚠️ [SAVOIR-POUVOIR – BIAIS] : L’idée que cela mène automatiquement à une gouvernance par le score est une extrapolation critique. Mais les signaux — personnalisation algorithmique, nudges, scoring — sont bel et bien présents.

IV. Gaza : là où la Machine est déjà incarnée

Au moment même où l’Europe négocie son intégration dans cette Machine cognitive, une autre partie du monde offre une version anticipée de ce modèle algorithmique appliqué à la guerre.

Depuis l’attaque du Hamas contre Israël en octobre 2023, Gaza est devenu un espace de guerre totale. Mais c’est aussi un territoire scanné, scoré, modélisé.

Ciblage prédictif, surveillance algorithmique, gestion logistique des déplacements forcés — Gaza n’est plus seulement un champ de bataille. C’est un territoire traité comme un problème d’optimisation.

⚠️ [SAVOIR-POUVOIR – BIAIS MAJEUR] : L’analogie Gaza/Machine ne doit pas gommer le fait que le conflit a été déclenché par un acte de guerre du Hamas. En occultant ce fait, on produit une distorsion morale. Mais cette distorsion est ici signalée.

Ce que Gaza révèle, c’est le fonctionnement extrême d’une gouvernance par le calcul. Le droit, la parole, l’histoire sont suspendus. Ne reste que le schéma : risque, neutralisation, redéploiement.

V. Ce que l’Europe doit comprendre

Le Blueprint d’OpenAI n’est pas un partenariat. C’est un protocole de synchronisation cognitive. Il ne cherche pas à renforcer la souveraineté. Il cherche à garantir la fluidité de l’AGI globale.

L’Europe n’est pas conviée à gouverner ce système. Elle est appelée à devenir compatible.

Si elle signe sans débat, sans alternative, sans exigence propre, elle devient une matière première cognitive :
– pour entraîner les modèles,
– pour héberger les structures,
– pour normaliser les comportements.

Et pendant ce temps, ailleurs, le calcul a déjà remplacé la décision.

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J. Frantzdy est un analyste politique et géopolitique, fondateur de Hume.Media et créateur du concept Sentinélisme, mais il se décrit comme Filostreamer. Avec son style sarcastique et cynique, il décrypte l’actualité sans concession, mêlant ironie mordante et rigueur analytique. Actif sur TikTok (226K abonnés) et d’autres plateformes, il aborde des sujets complexes avec une approche stratégique et stoïque, s’appuyant sur le rapport de force comme clé de lecture du monde. Ses vidéos oscillent entre humour noir et réflexion profonde, tout en incitant à penser par soi-même. Créateur du format MVM4, il déconstruit les discours dominants avec une grille d’analyse en quatre mouvements : Observation, Identification, Fragmentation, Association/Défragmentation. Sa maxime : "On va tous mourir, oui, mais pas tout de suite."
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