Nous sommes en guerre !

Jean Frantzdy
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Le rapport RAND, publié en 2025, expose une doctrine de guerre qui dépasse l’Ukraine. Il ne parle pas de paix. Il ne parle pas de reconstruction. Il ne parle pas de morale. Il construit les conditions techniques, industrielles et sociales d’une guerre prolongée, intégrale, mondiale.

Ce document ne pense pas une crise. Il structure un système. Il décrit comment intégrer l’économie, les entreprises privées, les armées, la logistique, les alliances, l’intelligence artificielle et la guerre cognitive dans un dispositif cohérent. Ce dispositif n’est pas défensif. Il est préemptif, orienté vers un affrontement contre un adversaire technologiquement crédible : la Chine.

Deux phases. D’abord, ce que le rapport dit explicitement : doctrine, stratégie, retour d’expérience ukrainien. Ensuite, ce que cela implique réellement : déplacement de la souveraineté, privatisation du renseignement, industrialisation du conflit, effacement des frontières entre guerre et paix.

Le monde n’est pas en transition. Il est en préparation. Ce que RAND appelle adaptation stratégique est une normalisation de la guerre longue. Ce que d’autres appelleront “progrès”, nous l’appellerons ici : la mise en guerre intégrale du monde.

Ce que la guerre en ukraine a dévoilé : le rapport rand démonté ligne par ligne

2025. Les analystes de la RAND Corporation publient un document stratégique dense, froid, méthodique : The Russian Invasion of Ukraine: Lessons from the First Year. Traduction libre : comment observer un champ de ruines à ciel ouvert et en tirer des schémas pour la guerre de demain. Le rapport est un miroir à peine déformant de ce que les États-Unis pensent réellement : non pas l’Ukraine, mais la Chine. L’Ukraine n’est qu’un laboratoire. Ce texte ne pense pas une guerre, il pense toutes les guerres à venir, et il restructure l’architecture militaire, industrielle et cognitive du monde occidental. Il faut l’ouvrir à la page 1, et ne pas en ressortir intact.

Leçon numéro 1 : la guerre n’est plus rapide, chirurgicale, propre. Elle est sale, lente, industrielle.

RAND commence par constater l’échec des modèles américains post-Kosovo : la guerre éclair, les frappes de précision, la domination techno-cognitive. En Ukraine, l’artillerie redevient reine, les lignes de front se figent, la consommation de munitions explose. Les drones bon marché remplacent les chasseurs supersoniques. La guerre est revenue au XIXe siècle, avec satellites et algorithmes en prime.

La Russie tire 20 000 obus par jour en 2022. L’OTAN, elle, a découvert qu’elle n’avait plus de stock. L’Allemagne n’a que deux jours de munitions. La France implore Nexter d’augmenter ses cadences. Les États-Unis réactivent des lignes de production dormantes depuis la guerre du Golfe. Et tout cela coûte : 50 milliards de dollars de soutien américain en 2022. L’économie de guerre, jadis tabou, est redevenue une hypothèse sérieuse.

Leçon numéro 2 : il faut une société complète pour soutenir une guerre prolongée.

Le rapport RAND expose sans détour ce que beaucoup refusent encore d’admettre : l’Ukraine a tenu grâce à l’intégration verticale d’un bloc civilisationnel entier. États, entreprises privées, ONG, plateformes numériques, groupes de hackers, think tanks, industries de défense, tout le monde a mis la main à la pâte. Amazon a transféré l’infrastructure numérique ukrainienne dans le cloud. Microsoft sécurise les bases de données étatiques. Palantir modélise les lignes de front pour Kiev. Elon Musk, malgré ses états d’âme, fournit les communications via Starlink. Cette guerre est privatisée, mais pas dans le sens néolibéral. Elle est industrialisée façon Seconde Guerre mondiale, version 5G.

Leçon numéro 3 : la guerre moderne est totale mais non déclarée.

L’une des forces du rapport, c’est de dévoiler que nous sommes déjà en guerre totale, mais sans mobilisation générale. Le rapport propose six axes de transformation :

  1. Repenser la doctrine pour des conflits d’usure, longs, multi-domaines.
  2. Réactiver une base industrielle de guerre dans le monde occidental.
  3. Accélérer l’innovation technologique directement sur le champ de bataille.
  4. Intégrer la cyberdéfense et la guerre de l’information comme priorités absolues.
  5. Réformer le commandement pour coordonner en temps réel tous les domaines (terre, mer, air, cyber, spatial).
  6. Refondre les alliances pour créer un système mondial modulaire et asymétrique.

Chaque axe est accompagné d’objectifs concrets : produire plus de munitions, généraliser l’usage des drones, former à la guerre sans GPS ni satellites, sécuriser les serveurs civils, intégrer les IA dans la chaîne décisionnelle, conditionner la société à une guerre cognitive permanente.

Leçon numéro 4 : l’Ukraine est une démonstration, pas un objectif.

Le texte ne parle presque jamais de paix. Il ne propose aucune sortie de crise. Il ne s’attarde pas sur les souffrances civiles. Il ne discute pas des conditions de négociation. Il regarde la guerre comme un ingénieur regarde un moteur : efficacité, friction, rendement. La guerre est devenue un dispositif d’optimisation technopolitique. Chaque ville détruite est une variable. Chaque soldat mort est un data point. Chaque panne logistique est un enseignement. Et ces enseignements ne visent pas la Russie, qui est déjà considérée comme affaiblie. Ils visent la Chine.

Leçon numéro 5 : la Chine n’est jamais nommée, mais toujours visée.

Tout le rapport respire l’Asie. Pas une fois le mot “Taiwan” n’est écrit, mais toute la structure pensée repose sur une guerre prolongée contre un adversaire technologiquement crédible, avec une base industrielle immense, des capacités cyber offensives, et un contrôle territorial maritime critique. L’ennemi du futur n’est pas un dictateur maladroit en Europe de l’Est. C’est un État-monde. Le rapport est donc un manuel de guerre contre Pékin, avec l’Ukraine comme répétition générale.

Leçon numéro 6 : les alliances ne sont plus des pactes de solidarité. Ce sont des hubs fonctionnels.

RAND ne cherche plus à convaincre ou à séduire les alliés. Elle propose un système de coopération différenciée par capacité : qui peut produire, produit ; qui peut héberger, héberge ; qui peut surveiller, surveille. C’est une alliance à la carte, où la loyauté ne compte que si elle est opérationnelle. L’OTAN devient une plateforme logistique. L’UE une réserve économique. Le G7 une interface narrative. La guerre devient un produit géopolitique modulaire.

Donc

Le rapport RAND est un document froid et implacable. Il ne prédit pas la guerre, il l’organise. Il ne pense pas l’Ukraine, il pense le monde post-Ukrainien. Il ne prépare pas à éviter l’escalade, il anticipe une escalade programmée, acceptée, amortie. Ce document n’est pas un plan d’action. C’est un plan de transformation civilisationnelle. La guerre n’est plus un accident. Elle est le logiciel par défaut.

Ce que vous avez peut-être déjà compris, mais que personne n’ose dire

La RAND a parlé. L’Ukraine a servi. L’Amérique avance. Reste à articuler ce que tout esprit lucide a déjà flairé : les lignes de front ne sont pas uniquement en Ukraine, elles traversent les câbles de données, les entrepôts Amazon, les serveurs de Palantir, les écoles d’ingénieurs, et les chaînes de montage de drones. Voici ce que ce rapport ne dit pas, mais implique. Voici ce que beaucoup ressentent, mais n’osent penser. Voici ce qu’il faut écrire noir sur blanc, avant que le rouge ne déborde.

1. Toutes les données de l’Ukraine sont-elles sur des serveurs américains ? Oui. Et ça alimente quoi ? L’AGI de guerre.

Après l’invasion russe, l’Ukraine a transféré son infrastructure numérique dans le cloud occidental. Amazon Web Services, Microsoft Azure, Google Cloud, Palantir : la totalité de l’État ukrainien — cadastre, santé, sécurité, identités, impôts, communications — est hébergée et surveillée par des entreprises américaines. En échange de la survie, Kiev a cédé son cerveau numérique. Ces données sont ensuite digérées par des algorithmes prédictifs, des IA tactiques, des simulateurs d’opérations, bref : la matière grise de la future AGI militaire américaine. Ce n’est plus un partenariat. C’est une intubation numérique totale. L’Ukraine est un cas clinique pour nourrir l’intelligence artificielle de guerre.

2. La guerre en Ukraine, c’est la stratégie de l’éclaireur. Derrière, on manœuvre. Comme Napoléon.

Napoléon appelait ça une “manœuvre sur les arrières” : occuper l’ennemi en frontal pour mieux le contourner. Ce que les États-Unis font avec l’Ukraine n’est pas une guerre principale. C’est une guerre-écran, un théâtre d’expérimentation. Pendant que l’Europe se noie dans la sidération médiatique, Washington réarme, rapatrie ses chaînes industrielles critiques, cartographie les points de friction, standardise les armées alliées et politise la logistique. Pendant que l’on regarde le Dniepr, le vrai front se déplace vers le Pacifique. L’objectif, c’est Pékin. L’Ukraine est un prétexte tactique pour justifier un basculement global.

3. L’Amérique applique la “Position Centrale”. Elle regroupe ses forces. Elle prépare la guerre totale.

Dans la doctrine napoléonienne, la position centrale permet de traiter ses ennemis un par un, tout en conservant l’initiative. Aujourd’hui, Washington est au centre du G7, de l’OTAN, d’AUKUS, du Quad, du Five Eyes. Elle capte les flux : données, capitaux, normes, alliances. Elle relocalise l’industrie, militarise la diplomatie, standardise les doctrines. La RAND le dit en filigrane : il faut être prêt pour une guerre longue, industrielle, multi-domaines. Pas une incursion. Une restructuration du monde. Si cela ressemble à une guerre totale, exige les ressources d’une guerre totale, et mobilise la société entière… c’est que c’en est une. Une guerre préventive contre un ennemi qui n’a pas encore attaqué. Une guerre contre le siècle chinois.

4. L’intégration armée–entreprises–civils vise à tuer mieux, plus vite, plus loin. Sans état d’âme.

On ne restructure pas l’ensemble de son économie, sa doctrine, ses alliances et sa chaîne logistique pour une hypothétique guerre. On le fait quand on a déjà décidé qu’il y aura guerre. Ce que RAND propose, c’est un capitalisme martial de haute intensité. Les entreprises de la tech deviennent les sous-traitants naturels de l’État-major. La société civile devient zone de test cognitif. Le renseignement devient plateforme interopérable. Tout le monde est enrôlé. Personne ne vote. L’ennemi ? Un gamin chinois, peut-être, assis à côté d’un datacenter, ou dans un sous-marin. La guerre de demain ne fera plus la différence entre infrastructure et individu. Et les bombes ne demanderont pas la carte d’identité.

5. Les drones tueurs deviennent l’arme pivot du XXIe siècle. Et c’est maintenant.

Derrière les discours sur l’innovation, la RAND dévoile l’essentiel : l’avenir, ce sont les drones tueurs autonomes, les essaims de machines capables d’identifier, traquer, frapper. Plus rapides, moins chers, sans fatigue, sans conscience. Ils détruisent les chars, les navires, les centrales électriques. Ils saturent les radars, neutralisent les points névralgiques. Ce ne sont plus des gadgets. Ce sont des soldats sans solde. Et ils seront produits en masse. La guerre devient robotique, programmée, quantitative. L’humain ? Un problème de sécurité dans la chaîne décisionnelle. Un aléa affectif. Une source de faiblesse. Il sera déplacé, effacé, contourné.

6. La guerre de l’Indopacifique a-t-elle déjà commencé ? Oui. Elle est structurelle, pas déclarée.

Bases renforcées aux Philippines. AUKUS pour armer l’Australie. Blocus technologique sur les semi-conducteurs. Guerre de normes autour de l’IA. Tentative d’asphyxie diplomatique de la Chine en Afrique, en Amérique Latine, dans les Balkans. Chasse aux entreprises chinoises en Europe. Le champ de bataille est mondialisé. La guerre n’est pas une ligne de front. C’est une grille de contrôle. Tout pays qui échappe à cette grille est soupçonné, sanctionné, isolé. La guerre de l’Indopacifique a commencé, mais sous forme de transitions économiques, d’accords militaires, de rivalités algorithmiques. Ce n’est pas une guerre chaude. C’est une guerre d’encerclement programmé.

7. Trump promet du travail et chasse l’immigration. Pourquoi ? Parce que c’est la guerre.

Un pays en guerre prépare son peuple à la production, la pureté, la cohésion. La promesse d’emploi industriel, c’est la relance de l’économie de guerre. La chasse aux immigrés, c’est la purge préventive de toute dissidence potentielle. Les États-Unis veulent une société homogène, obéissante, capable de se sacrifier pour le bien supérieur : la victoire. Le capitalisme se fait nationaliste. L’économie se fait logistique. La culture se fait propagande. Et le citoyen devient un ressort d’effort de guerre. Ce n’est pas Trump qui est extrême. C’est le système qui mute. Et Trump ne fait que donner un visage à la logique sous-jacente.

Conclusion 

On ne reconstruit pas une doctrine militaire, une base industrielle, une société et une narration globale pour le plaisir d’un think tank. Le rapport RAND n’est pas un cri d’alarme. C’est une feuille de route pour un monde où la guerre est non seulement possible, mais nécessaire. Parce qu’elle structure les flux. Parce qu’elle ordonne le chaos. Parce qu’elle relance la croissance. Et parce qu’elle reconfigure la domination. Nous ne sommes pas à l’aube d’un conflit. Nous sommes les données d’entrée de sa simulation.

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J. Frantzdy est un analyste politique et géopolitique, fondateur de Hume.Media et créateur du concept Sentinélisme, mais il se décrit comme Filostreamer. Avec son style sarcastique et cynique, il décrypte l’actualité sans concession, mêlant ironie mordante et rigueur analytique. Actif sur TikTok (226K abonnés) et d’autres plateformes, il aborde des sujets complexes avec une approche stratégique et stoïque, s’appuyant sur le rapport de force comme clé de lecture du monde. Ses vidéos oscillent entre humour noir et réflexion profonde, tout en incitant à penser par soi-même. Créateur du format MVM4, il déconstruit les discours dominants avec une grille d’analyse en quatre mouvements : Observation, Identification, Fragmentation, Association/Défragmentation. Sa maxime : "On va tous mourir, oui, mais pas tout de suite."
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