Depuis plusieurs jours, la Syrie est le théâtre d’une nouvelle escalade violente, marquée par une offensive majeure des rebelles et groupes djihadistes sur Alep. Cette attaque, coordonnée par des forces variées, illustre une recomposition géopolitique régionale et soulève des questions cruciales sur l’avenir du régime de Bachar al-Assad et de ses alliés. Derrière cette offensive, ce sont des stratégies militaires classiques et des mécanismes géopolitiques complexes qui se jouent, redéfinissant les rapports de force au Moyen-Orient.
L’offensive est principalement menée par Hayat Tahrir al-Sham (HTS), anciennement affilié à Al-Qaïda, désormais indépendant et consolidé par des alliances avec des groupes salafistes et islamistes locaux. À ses côtés, des forces étrangères composées de Tchétchènes, Ouïghours et Ouzbeks, issues de groupes tels que Jaysh al-Muhajireen wal-Ansar ou le Parti Islamique du Turkestan, jouent un rôle clé dans les percées stratégiques. Ces combattants, disciplinés et aguerris, s’ajoutent à des groupes syriens historiques comme Harakat Nur ad-Din az-Zinki, qui apportent une connaissance précise du terrain.
Face à cette coalition, l’armée syrienne, affaiblie par une décennie de conflit, peine à résister. Loin de son apogée, elle repose désormais sur des milices chiites pro-iraniennes, elles-mêmes fragilisées par les frappes israéliennes et les troubles internes en Iran. Ces milices, essentielles pour maintenir le contrôle d’Alep, ont vu leurs positions s’effondrer en quelques jours, révélant la vulnérabilité du régime.
Le soutien traditionnel de la Russie et de l’Iran à Assad s’estompe également. La Russie, enlisée dans sa guerre en Ukraine, manque de ressources pour maintenir un appui militaire constant en Syrie. Malgré quelques frappes aériennes, Moscou doit prioriser ses engagements, mettant en péril son pivot stratégique au Moyen-Orient. L’Iran, autre pilier du régime syrien, subit un affaiblissement significatif après les récentes frappes israéliennes contre le Hezbollah et ses infrastructures régionales. Ce double affaiblissement offre un champ libre aux forces rebelles pour intensifier leurs offensives.
Dans ce contexte, la Turquie joue un rôle ambigu. En soutenant indirectement les rebelles, Ankara cherche à affaiblir le régime d’Assad tout en repoussant les forces kurdes, qu’elle considère comme une menace directe à sa sécurité nationale. La Turquie semble également utiliser cette crise pour préparer le retour des réfugiés syriens présents sur son territoire, un enjeu crucial pour son équilibre intérieur.
Sur le plan stratégique, cette situation reflète des dynamiques géopolitiques classiques. La Syrie représente un pivot inter-résistant pour la Russie, un bastion crucial pour contenir l’influence occidentale au Moyen-Orient. Cependant, comme un levier mécanique, ce pivot ne fonctionne que si la force qui l’active reste constante. En science comme en géopolitique, un levier inter-résistant dépend de sa capacité à stabiliser un système face à une pression extérieure. La Russie, trop engagée en Ukraine, doit désormais choisir entre préserver son influence en Syrie ou concentrer ses efforts ailleurs.
De même, l’Iran a longtemps utilisé la Syrie comme un levier inter-appui pour projeter son influence régionale, reliant Téhéran à Beyrouth via Bagdad et Damas. Cet équilibre est désormais rompu, affaiblissant la ligne d’influence chiite face à Israël. La Turquie, quant à elle, agit comme un levier inter-moteur, mobilisant les forces rebelles pour avancer ses intérêts stratégiques tout en évitant une confrontation directe.
Enfin, cette crise illustre l’application des stratégies napoléoniennes en géopolitique. Les rebelles, soutenus indirectement par la Turquie, divisent les forces du régime syrien en multipliant les fronts. Les États-Unis et Israël, eux, exploitent cette division par des frappes ciblées sur les infrastructures iraniennes et syriennes, affaiblissant progressivement l’ennemi sans confrontation directe. Cette combinaison de manœuvres indirectes et de concentration de forces sur des points stratégiques transforme le conflit syrien en un laboratoire de stratégie militaire et géopolitique.
Cette dynamique reflète un basculement stratégique en faveur de l’Occident et d’Israël, qui apparaissent en position de force. Israël, après avoir porté des coups significatifs au Hamas et au Hezbollah, s’impose comme un acteur dominant, redessinant les lignes d’influence au Moyen-Orient. L’Occident, par son soutien indirect à des forces sur le terrain et par une pression continue sur les infrastructures iraniennes, contribue à éroder l’ordre régional ancien. Ce processus semble préfigurer l’émergence d’un « nouveau Moyen-Orient », dans lequel les pivots traditionnels russes et iraniens cèdent progressivement la place à une architecture géopolitique réorganisée autour des alliés occidentaux.
En Syrie, bastion stratégique depuis des décennies, cette recomposition est particulièrement visible. Les acteurs régionaux et internationaux redéfinissent les contours de la région en s’appuyant sur des stratégies de division et de concentration des forces. L’affaiblissement des leviers russes et iraniens ouvre la voie à une nouvelle ère, où Israël et l’Occident pourraient s’imposer comme les principaux architectes d’un Moyen-Orient transformé.