François Bayrou entre en scène à un moment où la France vacille. Divisée, sans majorité stable à l’Assemblée nationale depuis la dissolution de juin dernier, elle est confrontée à un chaos institutionnel. Michel Barnier, succédant à Gabriel Attal comme Premier ministre, a été renversé par une motion de censure, laissant un vide au sommet de l’exécutif. Le budget pour 2025 n’a pas été voté, et l’économie, comme la politique, est au bord de l’implosion. Emmanuel Macron, de plus en plus perçu comme un président autoritaire et déconnecté, n’avait plus beaucoup de cartes en main. Et c’est dans ce contexte de crise qu’il appelle François Bayrou à Matignon, ce vendredi 13 décembre. Une date que l’homme, à la fois pragmatique et porté par le symbolisme, semble avoir choisie pour inscrire sa nomination dans l’histoire.
François Bayrou n’est pas un nom quelconque dans le paysage politique français. Maire de Pau, il revendique fièrement son héritage béarnais et trace des parallèles explicites avec Henri IV, le roi qui mit fin aux guerres de religion et incarna la stabilité après des décennies de chaos. Henri IV, issu d’une famille où son père était catholique et sa mère protestante, incarne cette dualité historique. Comme lui, Bayrou voit dans l’unité une nécessité fondée sur la diversité. Henri IV avait mis fin aux guerres de religion avec l’Édit de Nantes, réconciliant catholiques et protestants. Bayrou, s’inspirant de cette approche historique, aspire à un “Édit moderne”, capable de pacifier les tensions économiques, sociales et politiques de la France contemporaine.
“L’unité se bâtit dans la diversité,” aime-t-il répéter, une phrase qui résume son approche de la politique. Il va plus loin en affirmant que le 11 septembre 2001 était une sorte de Saint-Barthélemy moderne, un rappel brutal des conséquences de la division et de l’intolérance. Cette conception d’une politique réconciliatrice le pousse à prôner un gouvernement de coalition fondé sur le compromis. Pour Bayrou, remporter une élection présidentielle ne donne pas le droit d’imposer une vision à tout un peuple; la mission du politique est d’œuvrer à faire vivre ensemble des idées et des ambitions divergentes.
Symboliste dans l’âme, Bayrou semble écrire son propre récit. Sa nomination le vendredi 13 décembre n’est pas anodine. Elle inscrit son entrée à Matignon dans une chronologie marquante, presque mystique. Bayrou pourrait chercher à laisser une trace historique en créant son « Édit Bayrou », un régime de réformes basé sur l’écoute et l’équilibre entre forces opposées.
Bayrou est aussi un universaliste convaincu. Il ne s’agit pas simplement pour lui de réduire les inégalités, mais de permettre à chacun, par le mérite, de s’élever dans l’échelle sociale. Comme Macron, il associe la liberté à la capacité de transcender les barrières de classe, dans un système fluide où chacun a une chance de réussir. Toutefois, cette vision universaliste, si elle flatte la méritocratie et l’ambition, reste ancrée dans les dynamiques du capitalisme : la compétition comme moteur sociétal. Ce triangle d’or « Fric, Gloire et Cul », bien que poli par le discours de respectabilité, glorifie implicitement la volonté de puissance et la compétition perpétuelle.
Bayrou aspire à incarner un réformateur, à l’image de Solon, l’homme qui, dans la Grèce antique, mit fin à l’esclavage pour dettes, redistribua les terres et ouvrit la cité grecque au commerce méditerranéen. Comme Solon, Bayrou souhaite sortir la France de ses crises en s’attaquant aux racines de l’injustice sociale. Il veut supprimer la Cour de Justice de la République (CJR), instaurer un Small Business Act à la française pour soutenir les petites entreprises, et introduire une dose de proportionnelle dans les élections pour refléter davantage la diversité des opinions.
Cependant, malgré ses ambitions et son sens du symbolisme, Bayrou fait face à des obstacles similaires à ceux qui ont fait chuter ses prédécesseurs. Comme Michel Barnier avant lui, il semble ne pas percevoir que le véritable problème de la société française ne réside pas seulement dans les inégalités économiques ou les dysfonctionnements institutionnels, mais dans la nature même du système. La liberté qu’il prône, fondée sur la compétition et le mérite, ne fait que déplacer les inégalités sans les résoudre. Comme Solon, qui effleura les concepts d’égalité durant son voyage en Égypte, Bayrou semble s’arrêter au seuil d’une véritable transformation sociale. L’égalité, loin de se limiter à une redistribution des richesses ou à la lutte contre les inégalités, demeure le plus grand défi de gouvernance pour l’humanité.
Bayrou relèvera-t-il le défi que Macron lui confie ? C’est un grand Non ! Bon on se retrouve à la prochaine censure.