L’Affaire Mazan, Gisèle Pelicot et ses 51 accusés, symbolise peut-être la fin d’une époque pour le mouvement #MeToo. Si certains y voient un nouveau cri d’alarme contre la violence systémique, cette affaire semble révéler l’épuisement d’un discours militant transformé en spectacle médiatique. À travers cette affaire, on observe les limites des symboles, les contradictions des interprétations féministes et la fascination morbide des médias pour les faits divers.
Le verdict du procès, annoncé le 19 décembre 2024 à Avignon, a confirmé la culpabilité des 51 accusés, impliqués dans des viols, agressions sexuelles ou tentatives de viol sur Gisèle Pelicot, orchestrés par son mari Dominique Pelicot. Pourtant, la décision judiciaire a provoqué un tollé. Six hommes sont ressortis libres du tribunal, bénéficiant d’aménagements de peine ou de crédits de détention provisoire, malgré des condamnations lourdes. Parmi eux, Joseph Cocco, 69 ans, condamné à trois ans de prison dont deux avec sursis pour agression sexuelle en réunion, a quitté le tribunal en liberté, son avocat provoquant les manifestantes féministes : “Mon client est libre, il vous remercie et il vous dit : ‘Merde !'”. Ce geste illustre le fossé entre une justice procédurale et une opinion publique assoiffée de condamnations exemplaires.
D’autres accusés, comme Saifeddine Ghabi, initialement poursuivi pour viol aggravé, ont vu leurs charges requalifiées en agression sexuelle, faute de preuves de pénétration. Jacques Cubeau, 73 ans, condamné à cinq ans de prison dont trois avec sursis pour viol aggravé, est également ressorti libre, son année de prison restante devant être aménagée sous bracelet électronique. Ces décisions, bien qu’explicables juridiquement, nourrissent l’impression d’une justice incomplète et renforcent le sentiment d’impunité.
Mais au-delà du procès, c’est l’instrumentalisation de cette affaire qui pose question. Gisèle Pelicot a été érigée en symbole des violences patriarcales par certaines militantes féministes, mais cette interprétation est loin d’être évidente. Son mari, Dominique Pelicot, était candauliste, une pratique sexuelle où le plaisir découle de voir son partenaire avec d’autres. Cette dynamique, bien qu’extrême et moralement condamnable dans ce contexte, ne reflète pas une norme patriarcale. Elle est en réalité en contradiction avec les fondements de la masculinité traditionnelle, souvent jalouse et possessive. Sur les réseaux sociaux, notamment sur TikTok, les jeunes hommes dénoncent fréquemment les femmes ayant un “body count” élevé, les qualifiant de “non-éligibles” pour des relations sérieuses. Les statistiques confirment par ailleurs que la jalousie reste l’une des principales causes de divorce.
Assimiler l’affaire Mazan à une manifestation du patriarcat revient à commettre une erreur de raisonnement inductif. Ce procédé, qui consiste à transformer un cas particulier en une vérité générale, est comparable à la rhétorique de l’extrême droite sur l’immigration. Tout comme certains attribuent à un migrant isolé les fautes d’un groupe entier, certaines féministes transforment Dominique Pelicot et ses coaccusés en archétypes de la masculinité toxique. Ce type de syllogisme (si un homme est un agresseur, alors tous les hommes le sont potentiellement) affaiblit la crédibilité du discours féministe et alimente un climat de méfiance généralisée.
L’hyper-médiatisation de l’affaire Mazan a également exacerbé ces tensions. Les médias ont présenté ce fait divers comme un “symptôme de la société”, une représentation universelle des violences faites aux femmes. Mais les faits divers, par définition, relèvent de l’exception. Ils sont l’expression des failles humaines, non des normes sociales. Jeffrey Dahmer, tueur en série cannibale, a ciblé des hommes noirs et homosexuels, mais aurait-il été pertinent de voir en lui une incarnation des tensions raciales ou de l’homophobie ? Ces lectures abusives détournent de l’essentiel et alimentent une fascination morbide pour la violence, tout comme les accidents de la route captivent les passants. Les faits divers, à l’instar de l’affaire Mazan, éveillent nos instincts de survie, mais rarement notre capacité à réfléchir en profondeur.
Faire de Gisèle Pelicot un symbole féministe est non seulement absurde, mais dangereux. Cette femme a été utilisée comme objet sexuel par son mari, droguée et offerte à une cinquantaine d’hommes. La présenter comme un modèle revient à glorifier la victimisation. La majorité des couples en France, environ 16 millions, ne vivent pas de telles dynamiques. Si les féminicides et les violences conjugales sont des réalités terrifiantes, elles ne peuvent être extrapolées à partir d’un cas aussi singulier. En outre, glorifier une victime sans reconnaître la diversité des expériences féminines alimente une représentation mortifère des relations homme-femme, et ce, sans offrir de solutions pour construire des relations plus saines.
L’affaire Mazan souligne également l’incapacité de #MeToo à transcender la dénonciation. Ce mouvement, bien qu’indispensable pour briser le silence sur les violences sexuelles, n’a pas su transformer les structures sociales ou répondre aux défis fondamentaux posés par la sexualité et la violence. La justice, en agissant sur les effets sans traiter les causes, illustre cette limite. Les témoignages et les hashtags, bien qu’essentiels, n’ont pas permis de résoudre les tensions sous-jacentes dans les dynamiques de pouvoir et de consentement. À mesure que l’attention se détourne des causes, le mouvement s’essouffle, laissant la société reprendre sa routine sans transformation significative.
L’affaire Mazan ne marque pas une victoire, mais une impasse. Elle reflète une société obsédée par ses propres fractures, mais incapable de les combler. Gisèle Pelicot, malgré les efforts pour en faire une icône, reste une victime dans un système médiatique et judiciaire qui se nourrit de spectacles sans résoudre les problèmes de fond. #MeToo, en cherchant des symboles plutôt que des solutions, semble avoir atteint ses limites. L’homme, fondamentalement, ne change pas ; il s’adapte aux discours du moment, mais reste fidèle à ses failles.
En définitive, l’affaire Mazan pourrait bien être le dernier acte d’un mouvement plus préoccupé par l’image que par l’action. Ce que l’histoire retiendra, ce n’est pas une révolution, mais une diversion. L’indignation est un moteur puissant, mais elle reste stérile si elle ne s’accompagne pas de véritables solutions. Gisèle Pelicot n’est pas un modèle, et l’affaire Mazan n’est pas une révolution. C’est une aberration. Une tragédie individuelle instrumentalisée par une société en quête de récits, mais en panne de réponses.