En une image, The Economist a résumé la situation politique française : un panneau de métro où brille en lettres lumineuses le mot “Merde”. Une photo éloquente, choisie pour illustrer la censure historique du Premier ministre Michel Barnier par l’Assemblée nationale le 4 décembre dernier, après une tentative désespérée de faire adopter un budget par le 49.3. Le verdict ? Selon The Economist, c’est la faute des “extrêmes”. Marine Le Pen et Jean-Luc Mélenchon auraient uni leurs forces pour écraser un gouvernement centré, rationnel et, implicitement, bien intentionné.
Mais cette analyse simpliste ne tient pas. Accuser les “extrêmes” d’avoir bloqué un gouvernement ignorerait que la situation actuelle n’est pas le fruit d’une polarisation soudaine, mais bien d’une désaffection envers un président qui, depuis 2017, gouverne à coups de contournements et de gestion de crises. C’est dans ce chaos, soigneusement entretenu, que Macron a trouvé un terrain fertile pour son style politique. Et si cette nouvelle crise n’était qu’un épisode supplémentaire de sa méthode éprouvée ?
Un président qui prospère dans la crise
Pour comprendre cette dynamique, il faut revenir aux crises qui ont façonné le macronisme. En 2018, les Gilets jaunes ont explosé pour réclamer des mesures concrètes sur le pouvoir d’achat et la justice sociale. La réponse de Macron ? Ignorer les revendications économiques de base et organiser un “Grand Débat”, déplaçant le problème vers une illusion de participation démocratique. Pourtant, à peine deux ans plus tard, lors de la crise de la Covid-19, il a fait preuve d’une générosité sans précédent avec le fameux “Quoi qu’il en coûte”. Des milliards ont été débloqués pour soutenir les entreprises et les citoyens face à la pandémie.
Cette contradiction éclaire un point crucial : le budget n’a jamais été le problème. Lors des Gilets jaunes, ce n’était pas une question de moyens, mais de priorité politique. Les montants exigés par les manifestants étaient bien inférieurs à ce qui a été débloqué pour la Covid-19. La conclusion est claire : Macron ne répond qu’aux crises qui servent ses intérêts politiques. Face à un mouvement populaire menaçant sa légitimité, il détourne et temporise. Face à une pandémie mondiale, il agit, mais dans un cadre qui lui permet de renforcer son pouvoir.
La chute de Barnier : une crise de plus, un scénario bien rodé
Revenons à Michel Barnier, sacrifié sur l’autel d’une Assemblée ingouvernable. Avec une majorité relative, un président impopulaire, et une opposition déterminée, le destin de Barnier était scellé dès sa nomination. Mais pour Macron, ce chaos n’est pas une défaite : c’est une opportunité. Car derrière la censure du Premier ministre se profile une stratégie familière : contourner les blocages institutionnels par une solution “hors cadre”, qui redonne à l’exécutif le contrôle du narratif.
“Vendez-moi ce stylo” : le génie d’Agora et l’illusion de l’action
Macron n’est jamais aussi efficace que lorsqu’il peut simuler une réponse à une crise tout en évitant de s’attaquer aux causes profondes. Après le “Grand Débat” des Gilets jaunes et la “Convention citoyenne pour le climat”, il pourrait désormais dégainer Agora, sa plateforme numérique de dialogue citoyen. L’idée est brillante dans sa simplicité : donner l’illusion d’une participation directe des Français, tout en filtrant les contributions pour qu’elles servent le message présidentiel.
Agora n’est rien d’autre qu’une version numérique du célèbre exercice “Vendez-moi ce stylo”. Face à une population désabusée, Macron ne propose pas de résoudre leurs problèmes, mais de leur faire croire qu’ils participent à une solution. Ce qui compte, ce n’est pas l’issue, mais le processus : occuper l’espace médiatique, créer un faux sentiment d’inclusion, et détourner l’attention des blocages institutionnels. La censure de Barnier ? Elle pourrait devenir l’occasion idéale pour lancer une nouvelle consultation nationale sur l’identité française, le rôle des institutions ou toute autre thématique suffisamment large pour distraire l’opinion.
Trump et Notre-Dame : le chaos à l’échelle internationale
Et c’est là qu’intervient Donald Trump. Sa présence à l’inauguration de Notre-Dame le 7 décembre est un geste géopolitique calculé, mais aussi une intrusion dans la gestion de crise française. Trump, en choisissant Paris pour sa première sortie internationale depuis sa réélection, envoie un message brutal : l’Europe reste sous tutelle américaine. Sa posture, à la fois identitaire et stratégique, contraste violemment avec celle de Macron, qui se bat pour maintenir une autonomie européenne en Ukraine ou dans l’Indo-Pacifique.
L’ombre de Trump ajoute une pression supplémentaire à Macron. Alors que l’Assemblée lui échappe et que la population reste sceptique, il doit gérer un affrontement symbolique avec un président américain qui n’hésitera pas à le marginaliser sur son propre territoire. Notre-Dame, censée incarner la résilience française, pourrait devenir le théâtre d’un duel entre une Amérique dominatrice et une Europe divisée.
Un scénario prévisible, une réponse incertaine
Alors, que fait Macron ? Fidèle à sa méthode, il misera sur la diversion. Une annonce spectaculaire pourrait suivre l’inauguration de Notre-Dame : une consultation via Agora, un discours rassembleur sur l’identité républicaine, ou même une initiative sur l’autonomie stratégique européenne. Mais ces réponses ne feront que prolonger le statu quo. Car la véritable question, celle de la gouvernance et de la légitimité, reste sans réponse. Macron ne vit pas malgré les crises : il prospère grâce à elles. Et tant qu’il pourra les manipuler à son avantage, la France restera dans cet état de chaos contrôlé.
Reste à savoir combien de temps ce modèle tiendra. Pour l’instant, la censure de Barnier, l’arrivée de Trump, et l’inauguration de Notre-Dame forment une trame où Macron joue son rôle habituel : celui d’un président au bord du gouffre, mais toujours maître du narratif. Jusqu’au jour où même cela ne suffira plus.