Roumanie en crise : Călin Georgescu

Dans Roumanie
décembre 11, 2024

La Roumanie, ce pays latin niché en Europe de l’Est, semble porter en elle une malédiction presque mythologique, celle d’un territoire autrefois exploité par les Romains pour ses richesses aurifères, avant d’être emprisonné dans l’étau d’une dictature communiste qui a ruiné son âme. Si le monde se souvient de Dracula comme son personnage emblématique, il pourrait bien être la métaphore parfaite de ses tourments modernes : un passé vampirisant un présent en quête de sang neuf, ou plutôt d’un souffle nouveau. Pourtant, aujourd’hui, ce n’est pas un prince de Transylvanie, mais un certain Călin Georgescu qui s’est imposé dans l’imaginaire collectif, entre espoir et controverse.

La Roumanie a beau avoir tourné la page de l’ère communiste en 1989, les cicatrices de la dictature de Nicolae Ceaușescu restent béantes. Pendant des décennies, la corruption a rongé ses institutions comme une plaie incurable. Pourtant, en 2007, la Roumanie franchit un cap historique en rejoignant l’Union européenne. Un rêve collectif qui devait marquer le début d’un renouveau, mais qui s’est rapidement heurté à la dure réalité d’un système incapable de se réformer en profondeur. L’adhésion à l’Union européenne a apporté des financements, des infrastructures, et une reconnaissance internationale. Mais ce saut vers l’Ouest s’est aussi accompagné d’exigences austères. La crise financière de 2008 frappe de plein fouet une Roumanie encore fragile. Les plans d’austérité imposés dans le cadre des accords européens, notamment par le FMI et la Commission européenne, ont conduit à des coupes drastiques dans les services publics, des licenciements massifs et une baisse des salaires dans le secteur public pouvant atteindre 25 %. Les manifestations massives contre ces mesures, combinées à une corruption toujours omniprésente, ont sapé l’enthousiasme des Roumains pour l’Union. Près de 4 millions de Roumains ont quitté leur terre natale au cours des deux dernières décennies, soit près de 20 % de la population active. La jeunesse fuit, attirée par des salaires décents et des opportunités qu’elle ne trouve pas chez elle, vidant des villages entiers, transformant les campagnes roumaines en musées de solitude. Destination préférée des expatriés roumains : l’Italie, l’Espagne, l’Allemagne, ou encore la France, où ils espèrent retrouver une vie meilleure.

Le désespoir n’est pas seulement économique, il est aussi politique. Entre 2012 et 2019, la Roumanie a été secouée par des crises politiques incessantes, symboles d’un système gangrené. La tentative de destitution du président Traian Băsescu en 2012 et l’incendie tragique de la discothèque Colectiv en 2015, révélant l’ampleur de la corruption, ont exacerbé une défiance généralisée envers les élites. Même la montée en puissance de l’Agence nationale anticorruption (DNA), bien qu’efficace, n’a pas suffi à redorer l’image des institutions. Le Parlement roumain est devenu le théâtre d’affrontements partisans où la politique ressemble davantage à une série Netflix qu’à une démocratie mature.

C’est dans ce contexte de désillusion que Călin Georgescu fait son entrée en scène. En 2011, il refuse un poste de Premier ministre, préférant se tenir à distance d’un gouvernement qu’il juge gangrené par les compromissions. Ancien rapporteur spécial des Nations Unies et spécialiste en développement durable, Georgescu a construit sa carrière en dehors des cercles politiques traditionnels. Avec une formation en génie civil et un engagement en faveur de l’environnement, il s’est opposé à plusieurs projets controversés, notamment liés à l’exploitation des ressources naturelles. Pourtant, ses prises de position actuelles sur l’industrie minière suscitent des contradictions. Défenseur des richesses naturelles du pays, il prône leur exploitation, notamment dans le cadre de Roșia Montană, un projet aurifère controversé pour son impact environnemental.

En 2024, Georgescu a décidé de se présenter en tant que candidat libre à l’élection présidentielle. Sa campagne, largement portée par TikTok, l’a propulsé au sommet de l’attention médiatique. Avec des vidéos cumulant des millions de vues, il a su captiver une jeunesse désillusionnée par les partis traditionnels. Pourtant, comme le souligne Romain Fargier, chercheur au CEPEL, « il n’y a pas d’étude qui prouve qu’il y a une corrélation directe entre un résultat électoral et un succès sur les réseaux sociaux. Sinon, les chats domineraient le monde. » Mais TikTok, application la plus téléchargée en Roumanie, a offert à Georgescu une plateforme puissante, bien que fragile. Les résultats du premier tour de la présidentielle de 2024 l’ont vu arriver en tête avec 22,94 % des voix, devant Elena Lasconi (19,17 %) et Marcel Ciolacu (19,15 %). Cependant, la Cour constitutionnelle a annulé le scrutin, pointant des irrégularités financières et une possible ingérence étrangère, notamment russe. Des perquisitions ont confirmé que des réseaux coordonnés avaient soutenu la candidature de Georgescu, renforçant les soupçons sur ses intentions.

Au-delà de ses succès numériques, Georgescu a également suscité la controverse par ses déclarations et son passé. Lors d’une interview récente, il a affirmé avoir rencontré une “espèce non humaine”, tout en remettant en question la version officielle du premier pas sur la Lune. En 2022, il avait déjà provoqué un tollé en faisant l’éloge de figures controversées comme les membres de la Garde de Fer, une organisation fasciste roumaine responsable de crimes durant la Seconde Guerre mondiale. Ces prises de position divisent profondément. Est-il le sauveur d’un peuple en quête de renouveau ou une menace populiste jouant sur les peurs et frustrations d’une société divisée ?

Cette étiquette d’extrême droite, bien qu’évoquée par ses opposants, pourrait être un abus de langage ou un outil politique pour discréditer un candidat atypique. Mais ses propos ambivalents et son passé contradictoire rendent son personnage difficile à cerner. Il est à la fois un produit des frustrations populaires et un miroir des incohérences de son époque.

Mais cette décision soulève une question fondamentale : le Conseil constitutionnel est-il allé trop vite ? Admettons que Georgescu ait bénéficié d’un soutien indirect de la Russie ; le fait demeure que les électeurs se sont rendus aux urnes et ont voté. La causalité entre les millions de vues sur TikTok et un oui au bulletin de vote n’a jamais été prouvée. Et si, lors d’une nouvelle élection, Georgescu remportait la victoire haut la main, que dirait-on alors ? Que les Roumains sont devenus d’extrême droite, antidémocratiques et prorusses ? Le véritable enjeu ici ne serait-il pas d’accepter que le peuple a le droit de choisir, même en se trompant parfois, et que la démocratie se construit aussi sur ses erreurs ? Si la Roumanie aspire réellement à se libérer de ses fantômes, elle doit apprendre à affronter ses contradictions sans les étouffer dans la controverse. Georgescu, avec ses ambiguïtés et ses polémiques, est peut-être le produit de ce chaos, mais il en est aussi le miroir. Que la Roumanie choisisse de l’accepter ou de le rejeter, il restera un révélateur de ses luttes les plus profondes.

La Roumanie, avec son passé aurifère et son héritage latin, porte encore en elle les ombres d’une histoire mouvementée. Entre Dracula, symbole de mystère et d’angoisse, et Călin Georgescu, figure de tous les espoirs et contradictions, le pays reste à la croisée des chemins. Mais si Dracula vivait d’illusions et de peur, Georgescu, lui, doit prouver qu’il est fait d’autre chose que de popularité numérique et de discours ambivalents. La Roumanie mérite un leader, pas un fantôme.

SourcesLiens
Euronewshttps://fr.euronews.com/my-europe/2024/12/08/roumanie-calin-georgescu-appelle-a-la-mobilisation-apres-lannulation-de-la-presidentielle
Romania Insiderhttps://www.romania-insider.com/social-media-use-romania-tiktok-facebook-2024?utm_source=chatgpt.com
Wikihttps://fr.wikipedia.org/wiki/Emil_Boc
Business24https://business24.ro/mihai-tanasescu/stiri-mihai-tanasescu/calin-georgescu-nu-vrea-sa-fie-premier-1488464?uord=RqySx/T/scnamR5I7FAgNWT%3DMGuuZRpHzi_1RuA-lLEGhcgjmaSQQF2GTYM2LWrDXSoTwFEWXc22uKovoCbAt6KQR_o9PpYAYWiu-koToS_0SrE%3Dj/EDsZfumCPEQFgt-m/%3DLWi%3D
Yahoo NewsBruxelles évite de commenter l’annulation de la présidentielle en Roumanie
Eurocreative Think Tankhttps://eurocreative.fr/quel-avenir-pour-la-jeunesse-roumaine/
20minutes Élections européennes 2024 : En quoi TikTok a eu un impact non négligeable sur les votes ?
Ouest-Francehttps://www.ouest-france.fr/europe/roumanie/environnement-les-roumains-resteront-assis-sur-leur-or-f27311a8-e096-11ee-b500-8385a3b868c8
Capital.rohttps://www.capital.ro/calin-georgescu-anunt-istoric-pentru-romania-ce-va-face-cu-aurul-de-la-rosia-montana.html?utm_source=chatgpt.com
LIBERTACălin Georgescu, Prima Reacție După Aflarea Rezultatelor La Alegerile Parlamentare: „Resetați Lucrurile Când Vedeți Că S-a Blocat Mașinăria De Partid” | VIDEO | Libertatea
Digi24https://www.digi24.ro/stiri/actualitate/politica/calin-georgescu-partidul-noua-romanie-zero-venituri-si-cheltuieli-la-prezidentiale-sumele-declarate-la-aep-de-restul-candidatilor-3040727
Figarohttps://www.lefigaro.fr/international/l-irresistible-ascension-du-candidat-d-extreme-droite-calin-georgescu-sur-la-scene-politique-roumaine-20241206
Balkaninsighthttps://balkaninsight.com/2022/02/01/romanian-nationalist-leader-praises-wwii-iron-guard-martyr/
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