Abyssus abyssum invocat, dit-on. En français, ça se traduirait par “les ennuis appellent les ennuis”, ou dans notre cas, “l’Union Européenne appelle l’Union Européenne.” Parce qu’il faut le dire franchement : cette histoire de Constitution européenne ressemble plus à une mauvaise comédie qu’à une grande épopée fédératrice. Mais commençons par le début, ou plutôt par là où ça s’est vraiment mal passé.
En 2005, la France, terre des droits de l’homme et des baguettes, a été consultée par référendum pour savoir si elle voulait d’une Constitution européenne. Un beau projet, écrit sur du beau papier, avec des valeurs démocratiques, de la transparence, et même des petits cœurs pour l’identité européenne (drapeau, hymne, et tout le tralala). Mais le peuple français, avec son flair inné pour détecter les mauvaises affaires, a dit NON. Les Pays-Bas ont suivi, en bons voisins pragmatiques qu’ils sont, et ont dit également NON. Double non, double claque.
À ce moment-là, tout aurait pu s’arrêter. Mais l’UE, fidèle à son esprit de résilience bureaucratique, a décidé que si les peuples ne voulaient pas de la Constitution, il suffisait de… l’appeler autrement. On vous présente donc le Traité de Lisbonne en 2007 ! Même contenu, moins de symboles encombrants, et surtout, pas de référendum cette fois. Oui, vous avez bien entendu, pas la peine de demander l’avis des gens. Le Parlement français a ratifié le traité dans le calme et la discrétion, comme un voleur dans la nuit qui ne veut surtout pas réveiller les propriétaires.
Et nous voilà, en 2024, les mains liées par des règles européennes qu’on n’a jamais approuvées dans les urnes, mais qui sont quand même là. C’est comme cette belle-mère intrusive que vous n’avez jamais invitée, mais qui trouve toujours le moyen de s’installer sur votre canapé. “C’est juste temporaire”, dit-elle, en déballant ses valises. Pour l’UE, c’est pareil : le Traité de Lisbonne est un amendement des traités existants. On n’a jamais voulu d’une Constitution ? Qu’à cela ne tienne ! On nous a refilé la version administrative.
“Sanctions, vous avez dit sanctions ?”
Maintenant, vous vous demandez peut-être, “Si ce n’est pas une Constitution, comment l’UE peut-elle encore nous mettre des sanctions ?” Ah, mes chers amis, le génie de la paperasserie européenne ne connaît pas de limites. Les traités actuels (Rome, Maastricht, Lisbonne, et compagnie) donnent des pouvoirs considérables à l’UE. C’est-à-dire que Bruxelles peut décider de ce que vous faites avec votre argent, votre dette, vos frontières, votre marché, et même votre droit de respirer l’air propre (enfin, si vous avez encore de l’air propre).
Prenons la Grèce comme exemple. La Grèce, pays berceau de la démocratie et de la feta, a été ramenée à l’âge du bronze avec les mesures d’austérité imposées par l’UE lors de la crise de la dette. Pourquoi ? Parce qu’elle avait eu le malheur de trop dépenser. Et quand on ne respecte pas les règles budgétaires de Bruxelles, on a droit aux plantes carnivores de la Commission européenne, aussi connues sous le nom de Troïka (BCE, Commission européenne, FMI). Ces belles âmes débarquent chez vous avec un sourire bienveillant, mais sous leur veste se cache le scalpel de l’austérité : coupes budgétaires, privatisations, et tout ce qui peut faire couiner la population.
Mais attendez, ce n’est pas que de l’argent, hein !
Ne croyez pas que l’UE s’arrête à l’économie. Oh non ! L’Union européenne se charge aussi de votre environnement, de vos droits des travailleurs, de votre justice, et même de votre système d’asile. Vous êtes un État membre ? Bienvenue dans le grand cirque de la conformité, où chaque pays doit jongler avec des réglementations communes, sous peine de finir sur le banc de touche avec une bonne amende et quelques tapes sur les doigts.
Prenons la Hongrie et la Pologne, par exemple. Ces deux-là ont décidé de jouer les rebelles, restreignant l’indépendance de leurs juges ou la liberté de la presse. Résultat : Bruxelles les a pris en grippe et a sorti la menace de l’Article 7 (l’équivalent européen de l’arme nucléaire, mais sans l’explosion). Le message était clair : respectez les valeurs européennes ou perdez votre place à la table. Sauf que l’Article 7 est compliqué à activer, et qu’entre-temps, Viktor Orbán se sert un autre verre de palinka pendant que l’UE s’empêtre dans ses propres contradictions.
Pourquoi une Constitution, en fait ?
Alors, à quoi aurait servi cette fameuse Constitution européenne ? Elle aurait simplifié tout ça. Un document unique, clair, lisible, avec des symboles fédérateurs et des règles stabilisées. Elle aurait donné à l’Union une vraie base légitime, ratifiée par le peuple (enfin, en théorie). Mais elle aurait aussi exigé que les Européens se mettent d’accord sur des questions fondamentales, comme “voulons-nous vraiment être un seul super-État fédéral ?”. Et quand on voit la diversité des opinions à travers l’UE, c’est un peu comme essayer de faire rentrer une tribu de chats dans une boîte. Spoiler : ça ne marche pas.
Un cadre sans la maison
Aujourd’hui, l’UE est un peu comme une maison sans fondations solides. On a un cadre (les traités), mais pas de vrai ciment fédérateur (la Constitution). On vous dit que c’est solide, mais en réalité, ça tient par la bonne volonté des gouvernements et par un savant mélange de pragmatisme et de non-dits.
L’abyssus abyssum invocat de notre chère Union européenne, c’est finalement cette capacité infinie à se mettre dans des situations impossibles, à ratifier des traités sans référendum, à sanctionner tout en évitant d’admettre qu’on marche sur des œufs. Et comme toujours, ce sont les citoyens qui paient l’addition, pendant que les technocrates de Bruxelles débattent de la prochaine grande idée : la Constitution 2.0 ? Promis, la prochaine fois, ce sera la bonne.
Ou pas.