Luigi Mangione, 26 ans, est devenu le protagoniste d’un meurtre qui illustre les contradictions violentes de notre époque. Ce brillant ingénieur, diplômé de l’Université de Pennsylvanie, a méthodiquement planifié l’assassinat de Brian Thompson, PDG d’UnitedHealthcare, le 4 décembre 2024, à Manhattan. Voici la chronologie précise des faits qui ont conduit à ce crime et à l’arrestation de Mangione.
Au cours des mois précédant le meurtre, Mangione quitte son emploi à Hawaï et disparaît. Pendant six mois, il vit en marge de la société, utilisant des identités falsifiées pour éviter d’être localisé. Au cours de cette période, il développe un plan minutieux pour exécuter ce qu’il présente comme un acte de rébellion contre le système de santé américain. Il imprime en 3D un pistolet et des balles, qu’il inscrit de mots tels que “nier”, “défendre” et “déposer”, des termes qu’il associe à la bureaucratie des compagnies d’assurance.
À partir du 24 novembre 2024, Mangione arrive à New York. Il loue une chambre dans une auberge de jeunesse de l’Upper West Side en utilisant une fausse carte d’identité. Pendant une semaine, il mène des repérages autour de l’hôtel Hilton Midtown, où Thompson doit séjourner et assister à une conférence d’investisseurs. Mangione passe inaperçu, se fondant dans la masse, mais son comportement est marqué par une froide détermination.
Le matin du 4 décembre, vers 6 h 45, Mangione, équipé de son pistolet imprimé en 3D, se positionne stratégiquement près de la 54e rue et de la Sixième Avenue. Alors que Thompson passe, il surgit de derrière deux voitures et tire plusieurs coups de feu. La scène est brève mais brutale : Thompson est touché au dos et au mollet. Mangione s’enfuit immédiatement à vélo, traversant Central Park pour retourner à l’Upper West Side. Une caméra de surveillance capture son visage pendant quelques secondes, un détail qui deviendra crucial pour l’enquête.
Après le meurtre, Mangione quitte New York en bus. Il continue de se cacher, utilisant des espèces pour payer ses dépenses et évitant toute trace électronique. Malgré ses efforts pour rester invisible, les enquêteurs suivent des pistes grâce aux images de surveillance. Ils découvrent également un sac à dos abandonné à Central Park contenant une veste et des billets de Monopoly, probablement une tentative de brouiller les pistes.
Le 9 décembre, après cinq jours de chasse à l’homme, Mangione est localisé dans un McDonald’s à Altoona, en Pennsylvanie. Un employé, reconnaissant son visage grâce aux photos diffusées, alerte la police. Lors de son arrestation, les forces de l’ordre trouvent sur lui le pistolet utilisé dans le meurtre, un silencieux imprimé en 3D, plusieurs fausses pièces d’identité et un manifeste de trois pages où il détaille sa haine envers les compagnies d’assurance. Le document témoigne de sa vision confuse et de son ressentiment envers un système qu’il perçoit comme oppressif. Il y affirme être “le premier à affronter la corruption avec une honnêteté brutale”.
Les investigations révèlent que Mangione s’était aliéné de sa famille et de ses amis, vivant dans un isolement croissant avant le crime. Ses réseaux sociaux montrent un homme fasciné par les critiques de la société technologique et capitaliste, partageant des idées inspirées de La société industrielle et son avenir de Ted Kaczynski. Cette fascination contraste avec sa propre dépendance à la technologie, utilisée pour fabriquer l’arme du crime.
En parallèle, des éléments plus personnels émergent. Mangione aurait souffert de douleurs chroniques au dos, suite à une blessure. Des publications sur Reddit montrent qu’il cherchait désespérément des solutions, affichant des radiographies de sa colonne vertébrale. Ces souffrances physiques semblent avoir alimenté son ressentiment, renforçant son sentiment d’impuissance et de haine.
Le 19 décembre, Mangione est extradé vers New York pour y être jugé. Il est accusé de meurtre au premier degré, d’actes terroristes et de possession illégale d’armes. Sa défense plaide non coupable, mais les preuves accumulées, y compris les douilles de balles et les empreintes digitales, le lient directement au meurtre. Aujourd’hui, Luigi Mangione est en détention dans l’attente de son procès.
Ce crime s’inscrit dans un contexte où la violence est omniprésente. Les États-Unis enregistrent chaque année 20 000 morts par armes à feu, un chiffre que The Economist rappelle en soulignant l’ironie de l’indignation sélective envers certaines tragédies.
Est-ce que les compagnies d’assurance sont vraiment le principal méchant du système de santé américain ?
On adore un bon méchant dans une histoire. Et dans le chaos du système de santé américain, les compagnies d’assurance semblent avoir été élues comme les parfaits antagonistes : refus de remboursement, franchises astronomiques, copaiements absurdes, et marges bénéficiaires que l’on imagine obscènes. Pourtant, si on regarde les chiffres, les véritables coupables ne sont pas les assureurs. Ils ne sont que les boucs émissaires d’un système où les coûts faramineux sont essentiellement le fait des prestataires eux-mêmes : hôpitaux, médecins, et grandes entreprises pharmaceutiques.
En 2021, les États-Unis ont dépensé 12 197 $ par habitant en soins de santé, presque le double des pays comparables, qui tournent autour de 6 514 $. Cette différence hallucinante est surtout due aux coûts exorbitants des soins hospitaliers et ambulatoires, qui représentent à eux seuls 7 500 $ par personne aux États-Unis contre seulement 2 969 $ ailleurs. Oui, vous avez bien lu : une différence de 4 531 $. Ces montants incluent tout, des consultations chez le médecin aux interventions chirurgicales, en passant par les médicaments administrés directement par les prestataires. Autant dire que chaque fois que vous entrez dans un hôpital américain, vous signez presque un chèque en blanc.
Et les compagnies d’assurance dans tout ça ? Leur marge bénéficiaire moyenne ne dépasse pas 6 %. Pour comparaison, la moyenne des entreprises du S&P 500 est de 12 %. UnitedHealth Group, la plus grosse compagnie d’assurance santé du pays, a réalisé un bénéfice net de 23,1 milliards de dollars en 2023. Une somme astronomique, certes, mais cela représente à peine 9 % de ce que l’entreprise dépense en soins médicaux pour ses assurés, soit 241,9 milliards de dollars. Si UnitedHealth redistribuait chaque centime de ses profits pour couvrir des soins, cela n’ajouterait que 9,3 % de financement supplémentaire. Autrement dit, une goutte d’eau dans l’océan des dépenses.
La situation est d’autant plus ironique que les Américains, malgré leurs factures exorbitantes, ne bénéficient pas d’une meilleure qualité de soins. Moins de visites chez le médecin, séjours hospitaliers plus courts, et des temps d’attente souvent plus longs qu’en Europe. En gros, vous payez cher pour être moins bien soigné. Pire encore, les États-Unis ont moins de médecins par habitant que la plupart des pays riches, compliquant encore l’accès aux soins.
Les dépenses administratives – ces formulaires interminables et ces appels désespérés pour comprendre une facture – sont également souvent pointées du doigt. À juste titre, car elles coûtent 925 $ par personne aux États-Unis, contre seulement 244 $ dans les pays comparables. Pourtant, même cette catégorie, qui représente 12 % de la différence totale des coûts, reste une fraction de ce que les prestataires engrangent.
Les médicaments, eux, font grimper la facture de 691 $ par habitant en moyenne par rapport aux autres pays, mais ce n’est toujours pas l’élément le plus significatif. En fait, près de 80 % de la différence de dépenses entre les États-Unis et les autres pays s’expliquent par les soins hospitaliers et ambulatoires.
Si l’on veut vraiment pointer du doigt un méchant, ce ne sont pas les compagnies d’assurance qui devraient monopoliser notre haine. Ce sont les hôpitaux, les médecins, et les grandes entreprises pharmaceutiques, avec leurs prix gonflés et leurs marges mirobolantes. HCA Healthcare, par exemple, affiche un rendement sur fonds propres (ROE) de 272 %, bien loin des chiffres des assureurs. À ce niveau, on ne parle même plus de profits, mais d’une razzia organisée sur le portefeuille des Américains.
Et pourquoi cela continue-t-il ? Parce que les prestataires savent parfaitement masquer leurs intentions sous un vernis d’altruisme. Le médecin souriant, l’infirmière attentionnée et l’assistant administratif poli font tout pour que l’expérience soit agréable, laissant l’assureur jouer le rôle du méchant. Pendant ce temps, des injections de médicaments peuvent être facturées des centaines de dollars et un simple oreiller d’hôpital, des milliers.
Alors, non, les compagnies d’assurance ne sont pas innocentes, mais elles ne sont pas non plus les marionnettistes diaboliques que l’on aime imaginer. Elles sont surtout des complices passifs d’un système où les véritables profits se cachent ailleurs, bien à l’abri des critiques. Si l’on veut réellement réduire les coûts, il faudra s’attaquer à la source du problème : un système médical où chaque soin, chaque médicament, chaque service est facturé comme si votre vie dépendait littéralement du montant inscrit sur la facture.
Luigi Mangione un héros vraiment ?
Luigi Mangione n’est ni un héros, ni une victime, ni même un idéaliste trompé par ses illusions. C’est un homme ordinaire devenu l’incarnation de la lâcheté moderne. Un assassin qui, faute de trouver un sens à sa propre vie, a décidé d’en arracher un à celle d’un autre. Planifiant son acte dans l’ombre, évitant le moindre risque, Luigi a tout du profil classique des faibles qui se croient forts : il détruit parce qu’il ne sait pas construire.
Se prétendre l’ennemi des injustices systémiques alors qu’on se cache pour abattre un homme désarmé dans la rue au petit matin, voilà le niveau de courage et de grandeur de ce prétendu justicier. Il ne s’est pas dressé pour affronter un adversaire, il a simplement projeté son mépris de lui-même sur une cible extérieure, comme le ferait un enfant frustré qui brise un jouet pour cacher son impuissance. Son “manifeste” ? Une liste de justifications pour dissimuler une réalité simple : Luigi Mangione n’a pas tué parce qu’il voulait changer le monde, mais parce qu’il ne supportait plus son propre reflet. Le système qu’il critique n’est qu’un écran sur lequel il projette ses propres échecs.
Ce que Mangione révèle, c’est le triomphe du ressentiment. Nietzsche l’aurait vu venir : dans une société où l’on célèbre les faibles et où la médiocrité devient une vertu, ceux qui haïssent leur impuissance se tournent vers la destruction pour se donner l’illusion de la puissance. Tuer un PDG d’assurance-santé ou poignarder un professeur, ce n’est pas une rébellion, c’est une capitulation. C’est l’aveu ultime qu’on n’a rien d’autre à offrir que sa propre rage. Mangione, comme l’assassin de Dunkerque ou ces terroristes qui se drapent dans une cause pour justifier leur barbarie, n’est qu’un exemple parmi d’autres de cette déchéance humaine. Ils ne sont pas des révolutionnaires, ils ne sont même pas des dangers réels pour le pouvoir : ce sont des instruments de chaos, exploités par des systèmes qu’ils prétendent combattre.
Et pourtant, le monde les applaudit. Mangione devient un martyr pour les frustrés du système, un héros pour les indignés de salon qui partagent des mèmes sur TikTok entre deux selfies. Mais applaudir Mangione, c’est applaudir la lâcheté, c’est normaliser l’incapacité à construire ou à débattre. C’est applaudir un homme qui, plutôt que d’affronter les défis de sa vie, a choisi la solution la plus simple : détruire.
La vérité, c’est que Mangione n’a jamais été un héros. Les héros, eux, prennent des responsabilités. Ils construisent, ils créent, ils affrontent des systèmes entiers avec des idées, des actes, du courage. Ils ne se cachent pas derrière une arme à feu ou un “manifeste” de trois pages. Luigi Mangione, lui, n’est qu’un garçon perdu, incapable de grandir, qui s’est convaincu que la destruction était un acte de grandeur. Mais au fond, il n’a fait que révéler sa propre insignifiance.
Et c’est là le drame de notre époque : on ne célèbre plus ceux qui construisent. On érige en modèle ceux qui, incapables de trouver un sens à leur vie, cherchent à effacer le monde qui les dépasse. Nietzsche avait raison : le pâle criminel est toujours parmi nous. Mais il ne faut pas se laisser fasciner par sa folie, ni chercher à comprendre son geste comme une forme de rébellion. Car derrière les mots grandiloquents et les justifications bancales, il n’y a qu’une seule vérité : Mangione, comme tant d’autres, est l’incarnation de la faiblesse. Une faiblesse déguisée en force, applaudie par ceux qui, eux aussi, se complaisent dans l’échec et la haine.